C’est sa femme qui lui demande s’il a reçu son colis et s’il faut qu’elle lui envoie un chandail – ironie de la mort : les larmes nous mouillent les paupières.

Mardi 20 octobre

Le temps est plus brumeux encore qu’hier – un vrai ciel d’automne en plein bois. Dans les arbres rouillés, les geais passent. Un ramier, comme j’étais [dans un] sous-bois, est venu se poser au-dessus de ma tête me regardant d’un oeil inquiet. Des bouvreuils jettent leur cri monotone. Je me débarbouille en plein air comme tous les jours. Des boîtes de singe percées d’un trou et pendues à une perche entre 2 poteaux servent de lavabo. La brume vous transit la peau – des hommes au lavoir, une auge de bois, lavent leurs effets qui mettront combien de jours à sécher. Je vais essuyer mon linge au feu des cuisines. L’installation de ces dernières est parachevée – des claies de feuillage les entourent et les couvrent. S’il faisait du soleil, ce serait riant, malheureusement l’humidité perpétuelle détrempe le sol de boue, qui colle aux semelles. Nous pataugeons dans la boue grasse d’argile et de marne sur laquelle l’eau coule et ruisselle lentement. Quand cela finira-t-il ?

Excellent déjeuner de chocolat avec du lait concentré – au dîner, sardines, bouillie, riz – riz perpétuellement – par compensation bon café au pétrole – (alcool) – le vin ici s’appelle du pinard. Il faut voir s’allumer la frimousse et les yeux de certains gars du Nord, quand on appelle « au pinard » ou « à la gnaule ».

Le cuisinier du capitaine Vazeilles m’a offert une assiette de bouillon, un bouillon exquis avec des légumes – carottes, choux, etc. – c’était exquis – le soir mangé un ragoût de haricots qui était délicieux aussi – 2 camarades après dîner, Toréano et Guillonneau, jouent des « pac » à l’écarté. 12 de pertes. Vers 9 h ils nous réveillent tous pour en manger – la bonbonne « qui n’est pas fatiguée » est mise à contribution. Bon repos.

Mercredi 21 [octobre]

Petite promenade sous bois – temps brumeux, les arbres dégouttent lentement, les feuilles tombent. Malatré est conduit de force au lavabo et au lavoir. Le capitaine me remercie de la préface que j’ai écrite à son journal. Une seule lettre de Vallette [14]. Menu : potage bouillon – boeuf haricots, fromage, un quart de vin, café. Ce matin déjeuné d’un bon chocolat – état des bouthéons [15] manquants. Les sergents de la Cie sont :

1re section : Toréano, un jeune de Longwy, il était caporal à la 4e quand je suis arrivé. Tous sont d’ailleurs charmants, pleins de délicatesse et de prévenance envers les anciens en général et moi en particulier. Toréano imberbe.

2e section : Weiss, instituteur de la région d’Homécourt, grand, barbe en pointe, c’est le doyen. Il s’occupe de la popote et de tout ce qui nous concerne. Le matin, avons fait griller, au feu de bois des cuisines, le pain de nos tartines du déjeuner. Nerveux et vif, se fait obéir des hommes qui le craignent et le respectent. Isteveire, jeune sergent venu d’une autre Cie, gars du Nord pas très loquace, extrêmement complaisant pour nous.

3e section : Oudin André, représentant de Champagne rémois, barbu, plein d’anecdotes et de chansons, le meilleur et le plus gai fils du monde, file de loin le parfait amour avec Marguerite.

Guillonneau, parisien futé et joyeux, va de temps à autre à Belrupt où il a des accointances et rapporte des choses précieuses : beurre et pommes de terre.

4e section : Dastis et moi – Dastis venu de Jardinfontaine, fils de famille pauvre, très bien élevé, pas poseur pour un sou. Tous charmants camarades.

Jeudi 22 [octobre]

Le temps se remet, la forêt est de plus en plus belle et le camp se réchauffe – Guillonneau me cite le cas d’un réserviste à Étain qui, devant un Allemand blessé et se lamentant, défit son paquet de pansements et, après avoir soigné l’homme, rejoignit au pas de course sa Cie ; par contre une brute d’ici en acheva un, il a bien une tête à ça ; un autre blessé fut également achevé mais il ne l’avait pas volé : après avoir été désarmé et laissé ainsi, il prit dans sa poche un revolver et tira dans le dos des nôtres ; il fut embroché à la baïonnette.

Un joli mot de blessé : devant Fresnes un malheureux, l’épaule arrachée et une balle dans la cuisse, s’adressa à Weiss et lui montrant son fusil brisé : Regardez donc, sergent, les cochons ! comme ils ont arrangé mon fusil.