[Cycle de Vénus -3] - Carson de Vénus

Edgar Rice Burroughs

 

 

 

 

 

 

Le cycle de Vénus – 3

 

Carson de Vénus

 

 

Carson of Venus (1938)
Traduction de Martine Blond

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LEFRANCQ

 

 

 

AVANT-PROPOS

L’Inde est un monde à part, différente par ses mœurs, par ses coutumes, par son occultisme, du monde et de la vie qui nous sont familiers. Même sur la lointaine Barsoom ou sur Amtor on ne pourrait trouver de mystères plus déconcertants que ceux cachés en des lieux secrets des cerveaux et des vies de son peuple. Nous avons parfois le sentiment que ce que nous ne comprenons pas doit être mauvais ; c’est l’héritage qui nous vient de l’ignorance et de la superstition des sauvages peinturlurés dont nous descendons. Parmi les nombreuses bonnes choses qui nous sont venues de l’Inde, une seule m’intéresse pour l’instant – le pouvoir que le vieux Chand Kabi a transmis au fils d’un officier anglais et de son épouse américaine, celui de transmettre ses pensées et ses images mentales à un autre esprit, même sur des distances aussi grandes que celles séparant les planètes. C’est grâce à ce pouvoir que Carson Napier a pu nous relater, par mon intermédiaire, l’histoire de ses aventures sur la planète Vénus.

Lorsqu’il quitta l’île de Guadalupe dans sa fusée géante en direction de Mars, j’écoutai l’histoire de ce vol mémorable qui s’acheva, à cause d’une erreur de calcul, sur Vénus. Là, je suivis ses aventures, qui commencèrent dans le royaume insulaire de Vépaja, où il tomba désespérément amoureux de Duare, l’inaccessible fille du roi. Je suivis leurs pérégrinations à travers mers et continents, dans la cité hostile de Kapdor, et Kormor, la cité de la mort, jusqu’à la magnifique Havatoo, où Duare fut condamnée à mort par la faute d’une étrange erreur judiciaire. Je frémis d’émotion durant leur périlleuse évasion à bord de l’avion que Carson Napier avait construit à la demande des dirigeants de Havatoo. Et toujours je souffrais avec Napier car Duare demeurait inébranlablement résolue à considérer son amour comme une insulte envers la fille vierge du roi de Vépaja. Elle le repoussait constamment parce qu’elle était une princesse, mais à la fin je me réjouis avec lui lorsqu’elle accepta la vérité et reconnut que, même si elle ne pouvait oublier qu’elle était princesse, elle avait découvert qu’elle était d’abord une femme. Cela se produisit juste après leur fuite de Havatoo alors qu’ils survolaient le Fleuve de la Mort en direction d’une mer inconnue, dans leur recherche apparemment sans espoir de Vépaja où régnait le père de Duare, Mintep.

Les mois s’écoulaient. Je commençais à craindre que Napier se fût écrasé dans son nouvel appareil, puis je me mis à recevoir de nouveaux messages de lui, que je vais consigner par écrit pour la postérité, selon ses propres mots, autant que ma mémoire le permet.

CHAPITRE PREMIER

DÉSASTRE

Tout homme qui a jamais volé se souviendra du frisson de son premier vol au-dessus d’un terrain familier, contemplant de vieilles scènes selon un angle nouveau qui leur conférait un air d’étrangeté et de mystère, comme s’il s’agissait d’un monde nouveau ; mais il restait toujours la réconfortante certitude que l’aéroport n’était pas trop loin et que, même en cas d’atterrissage forcé, on saurait fort bien où il était et comment revenir à la maison.

Mais lors de cette aube où Duare et moi quittâmes Havatoo, accompagnés du bourdonnement saccadé des fusils Amtoriens, je volais véritablement au-dessus d’un monde inconnu ; et il n’y avait pas de terrain d’atterrissage et pas de maison. Je crois que ce fut le moment le plus heureux et le plus exaltant de ma vie. La femme que j’aime venait de me dire qu’elle m’aimait, j’étais à nouveau aux commandes d’un appareil, j’étais libre, je volais sans danger au-dessus des innombrables menaces qui hantent le paysage Amtorien. Sans aucun doute, d’autres périls nous attendaient dans notre recherche apparemment sans espoir de Vépaja, mais pour le moment il n’y avait rien pour entacher notre bonheur ou pour éveiller de mauvais pressentiments. Du moins pas pour moi. Pour Duare, c’était peut-être un peu différent. Elle avait peut-être eu des craintes de désastre. Cela n’aurait rien eu d’étrange car, jusqu’à l’instant précis où nous nous élevâmes au-dessus des murs de Havatoo, elle n’avait pas eu la moindre idée qu’il pouvait exister un engin où l’homme pouvait quitter le sol et voler à travers les airs. Naturellement, ce fut un peu un choc pour elle ; mais elle était très courageuse, et également satisfaite d’accepter ma parole que nous ne risquions rien.

L’appareil était un modèle de perfection, le genre d’appareil qui sera un jour courant sur les routes aériennes de la vieille Terre lorsque la science y aura progressé autant qu’elle l’a fait à Havatoo. Des matériaux synthétiques d’une solidité et d’une légèreté extrêmes entraient dans sa composition. Les savants de Havatoo m’assuraient que sa durée de vie serait d’au moins cinquante ans sans révision ni réparations à part celles que pourrait nécessiter un accident. Le moteur était silencieux et efficace, dépassant les rêves des hommes de la Terre. Il y avait à bord assez de carburant pour toute la durée de vie de l’appareil ; et il prenait très peu de place, car il aurait pu tenir dans la paume d’une main. Ce qui a l’air d’un miracle a une explication scientifique simple. Nos propres savants sont conscients du fait que l’énergie libérée par combustion n’est qu’une fraction infinitésimale de celle qui serait produite par l’annihilation totale d’une substance. Dans le cas du charbon le rapport est de dix-huit mille millions contre un. Le carburant de mon moteur consiste en une substance connue sous le nom de lor, qui contient un élément appelé yor-san, encore inconnu des Terriens, et un autre élément, le vik-ro, dont l’action sur le yor-san a pour résultat l’absolue annihilation du lor.

Pour ce qui était du fonctionnement de l’appareil, nous aurions pu voler pendant cinquante ans, sauf conditions météorologiques contraires ; mais notre faiblesse résidait dans le fait que nous n’avions pas de provisions. Notre départ précipité avait exclu toute possibilité d’approvisionner l’appareil. Nous nous étions échappés avec ce que nous avions sur le dos et nos vies, et c’était tout ; mais nous étions très heureux.