Tu vois le monde entier d’un seul coup et rien ne peut t’atteindre. J’aimerais rester là-haut tout le temps. Ainsi je n’aurais pas peur des tharbans ; je n’aurais même pas peur de Bund.
— J’aimerais aller là-haut, fit Vyla. Si Lula n’a pas eu peur, personne n’aura peur.
— Si tu y vas, je le ferai aussi, promit Ellie.
— J’irai, dit Vyla.
Eh bien, nous discutâmes encore un peu ; puis, avant d’aller dormir, je posai quelques questions sur les habitudes des femmes et j’appris que les expéditions de chasse et de pillage partaient de bon matin et qu’une petite garde de guerrières restait pour protéger le village. J’appris aussi que les esclaves descendaient le matin et, pendant l’absence des groupes de chasse et de rapines, elles ramassaient du bois pour les feux et apportaient de l’eau dans les cavernes avec des cruches en argile. Elles aidaient aussi les hommes pour la confection de sandales, de pagnes, d’ornements et de poterie.
Le lendemain matin, je restai dans la caverne jusqu’au départ des chasseresses et des maraudeuses ; puis je descendis par les échelles jusqu’au sol. J’en avais assez appris sur les femmes pour être raisonnablement certain que je n’éveillerais pas leurs soupçons, car les hommes sont si effacés et les femmes leur prêtent si peu attention qu’une femme ne risquait guère de reconnaître un des hommes à part son compagnon ; mais je n’étais pas aussi sûr pour les hommes. Ils se connaissaient tous. Il était impossible de prévoir ce qu’ils pourraient faire en reconnaissant un étranger parmi eux.
Un groupe d’une demi-douzaine de guerrières flânait au milieu du canyon tandis que les hommes et les esclaves s’affairaient aux tâches qui leur incombaient. J’en vis plusieurs qui m’observaient comme j’atteignais le sol et allais vers l’aval du canyon où plusieurs filles-esclaves travaillaient, mais personne ne m’accosta.
Je me tenais autant que possible à l’écart des hommes ; et je m’approchai des esclaves. Je cherchais Duare. Mon cœur se serra car je ne vis nulle trace d’elle et je regrettai de n’être pas tout de suite allé la chercher dans la caverne de Bund. Quelques esclaves me regardèrent d’un air interrogateur ; puis l’une me parla.
— Qui es-tu ? demanda-t-elle.
— Tu devrais le savoir, lui dis-je et, tandis qu’elle se creusait la tête pour comprendre, je m’éloignai.
Bientôt je vis plusieurs esclaves émerger d’un petit ravin latéral avec des brassées de bois, et parmi elles je reconnus Duare. Mon cœur fit un bond à sa vue. Je me dirigeai d’un air dégagé vers un endroit où elle devrait passer devant moi, attendant de voir l’expression de ses yeux adorés lorsqu’elle me reconnaîtrait. Elle avançait de plus en plus, et plus elle se rapprochait, plus mon cœur battait fort. Lorsqu’elle fut à deux pas, ses yeux se posèrent sur mon visage ; puis elle passa son chemin sans faire mine de me reconnaître. Un instant je fus anéanti ; puis je fus en colère et je me retournai pour la rattraper.
— Duare ! chuchotai-je.
Elle s’arrêta et se tourna vers moi.
— Carson ! s’exclama-t-elle. Oh, Carson. Que t’est-il arrivé ?
J’avais oublié mes cheveux noirs et les vilaines blessures sur mon front et sur ma joue, cette dernière étant une affreuse balafre de la tempe jusqu’au menton. Elle ne m’avait vraiment pas reconnu.
— Oh, mais tu n’es pas mort ; tu n’es pas mort ! Je croyais qu’elles t’avaient tué. Dis-moi…
— Pas maintenant, ma chérie, fis-je. Nous devons d’abord partir d’ici.
— Mais comment ? Quelle chance avons-nous de nous échapper alors que tout le monde nous regarde ?
— En nous en allant, tout simplement. Je ne crois pas que nous aurons jamais une meilleure occasion.
Je jetai un rapide regard autour de moi. Les guerrières étaient toujours insouciantes, ne prêtant attention ni à nous ni à personne d’autre. Elles étaient des êtres supérieurs qui considéraient avec mépris les hommes et les esclaves. La plupart des esclaves et des hommes étaient plus en amont du canyon que nous mais il y en avait quelques-uns que nous aurions à croiser.
— Repartez-vous pour chercher encore du bois ? demandai-je.
— Oui, nous y allons, dit-elle.
— Bien. Quand tu reviendras, essaie de marcher bien derrière les autres. Je te suivrai dans le canyon, si je peux ; à moins qu’un meilleur plan ne me vienne à l’esprit. Tu ferais mieux d’y aller maintenant.
Après son départ, je me mis hardiment à la recherche de Lula.
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