Les hommes qui me virent me regardèrent d’un air méfiant, mais ils étaient si stupides qu’ils furent tout d’abord simplement intrigués. Ils n’avaient pas l’idée de faire quelque chose. J’espérais que, le temps qu’ils réagissent, ce serait trop tard pour contrarier mes projets. Lorsque je trouvai Lula et qu’il vit qui était là, il eut l’air à peu près aussi heureux que s’il s’était soudain trouvé face à un fantôme.
— Va chercher Vyla et Ellie, lui dis-je, et viens avec moi.
— Pourquoi ? demanda-t-il.
— Peu importe. Fais ce que je te dis et fais-le vite ; ou bien je dis tout à ces femmes.
Il était trop idiot pour se rendre tout de suite compte que je ne me risquerais pas à le faire. Et donc il partit chercher Ellie et Vyla.
— Que veux-tu de nous ? s’enquit ce dernier.
— Je vais vous emmener en promenade dans l’anotar, comme je vous l’ai promis la nuit dernière, dis-je.
Ils se regardèrent d’un air interrogateur. Je voyais qu’ils avaient peur – sans doute effrayés à la pensée de voler, mais encore plus effrayés par les femmes.
Ellie s’étrangla.
— Je ne peux pas y aller aujourd’hui, fit-il.
— Vous venez avec moi, que vous montiez ou non dans l’anotar, leur dis-je d’un ton sans appel.
— Que veux-tu de nous ? demanda Vyla.
— Venez avec moi et je vous montrerai. Et n’oubliez pas que si vous ne faites pas ce que je vous dis, je raconterai aux femmes tout sur votre plan pour m’inciter à tuer Jad. Maintenant, venez !
— Tu n’es qu’une vieille crapule, gémit Vyla.
Ils avaient été tellement piétinés toute leur vie et ils souffraient de complexes d’infériorité si énormes qu’ils avaient peur de tout le monde et, si on ne leur laissait pas trop de temps pour penser, ils pouvaient obéir aux ordres de n’importe qui. Et donc ils me suivirent.
Les porteuses de bois avaient posé leurs fardeaux et étaient en route vers le ravin latéral pour en chercher plus, tandis que je guidais mes complices involontaires vers un endroit où les esclaves devaient passer. Et, comme elles approchaient, je vis, à mon grand soulagement, que Duare était en arrière des autres. Comme elle arrivait en face de nous, je réunis mon trio autour de moi pour la cacher, si possible, à la vue des guerrières ; puis je les guidai d’un pas tranquille en aval, vers la sortie du Canyon Étroit. À ce moment-là j’aurais donné cher pour un rétroviseur, car je voulais voir ce qui se passait derrière nous, mais je n’osais pas regarder en arrière de crainte de donner à penser que nous faisions quelque chose que nous ne devions pas faire – c’était la nonchalance ou rien, et pas une seule cigarette, d’aucune sorte, parmi nous. Je n’avais jamais su que des minutes pouvaient être si longues ; mais enfin nous approchions de l’extrémité inférieure du canyon, et puis j’entendis la voix rauque d’une femme qui criait à notre adresse :
— Hé, là ! Où allez-vous ? Revenez ici !
Sur ce, les trois hommes s’arrêtèrent net ; et je sus que le jeu était terminé en ce qui concernait le secret. Je pris la main de Duare et nous continuâmes vers l’aval du canyon. À présent je pouvais regarder en arrière. Lula, Vyla et Ellie revenaient vers leurs maîtresses et trois des femmes avançaient dans le canyon en notre direction. Lorsqu’elles virent que deux d’entre nous n’avaient pas tenu compte de leur ordre et continuaient à marcher, elles se remirent à crier et, comme nous ne leur prêtions aucune attention, elles se mirent à trotter ; et il ne nous resta plus qu’à courir. Je ne doutais pas que nous étions capables de les distancer, car elles n’étaient pas taillées pour la vitesse. Cependant, il nous fallait atteindre l’appareil avec une avance suffisante sur elles pour avoir le temps de le détacher avant d’être rattrapés.
Lorsque nous bifurquâmes du Canyon Étroit vers le large canyon dont il était un embranchement, nous arrivâmes sur un terrain relativement plat qui descendait doucement dans la direction où nous allions. Des bouquets d’arbres splendides parsemaient le paysage et là-bas, quelque part, se trouvaient l’appareil et la sécurité ; puis, juste sur notre route, à environ deux cents mètres, je vis trois tharbans.
CHAPITRE IV
UN NOUVEAU PAYS
La vue de ces trois grands fauves nous barrant la route était à peu près aussi décourageante que tout ce que j’avais jamais affronté. Bien sûr, j’avais mon pistolet ; mais les rayons ne tuent pas toujours immédiatement, pas plus que les balles, et même si je réussissais à les tuer, le retard permettrait aux femmes de nous rattraper. Je les entendais crier et je craignais que leurs voix parviennent jusqu’à un des groupes de chasse. Tout bien considéré, j’étais dans une sale situation. Heureusement, elles n’étaient pas encore sorties du Canyon Étroit, et je crus voir une possibilité de leur échapper, ainsi qu’aux tharbans. Nous étions près d’un groupe d’arbres, dont le feuillage dense pouvait constituer une excellente cachette ; et donc j’aidai Duare à monter sur une branche basse et je me hissai à ses côtés. Grimpant bien haut, nous attendîmes. Nous pouvions regarder à travers le feuillage, mais je ne pensais pas que quelqu’un pouvait nous voir.
Les trois tharbans avaient été témoins de notre ruse et ils venaient vers l’arbre mais, lorsque les guerrières apparurent, sortant en courant du Canyon Étroit, les fauves se désintéressèrent de nous pour concentrer leur attention sur les femmes. À la vue des tharbans, les femmes s’arrêtèrent net. Je les vis regarder autour d’elles pour nous trouver ; puis, comme les tharbans avançaient, elles battirent en retraite dans le Canyon Étroit.
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