Dans sa conception, l’appareil était plus ou moins une combinaison de ceux que je connaissais ou avais moi-même pilotés sur Terre. Il y avait quatre places, deux de front dans le cockpit avant à découvert, et deux dans une cabine fuselée à l’arrière ; il y avait des commandes dans chaque cockpit et l’appareil pouvait se piloter à partir de n’importe lequel des quatre sièges. Comme je l’ai déjà dit, il était amphibie.
Durant cette longue journée, je rompais la monotonie en enseignant à Duare les atterrissages et les décollages, comme il y avait une douce brise d’ouest. À ces moments-là, nous devions faire attention aux habitants géants de la mer, car certains auraient facilement pu détruire l’appareil si leur caractère était aussi terrible que leur aspect.
Lorsque la nuit tomba, le vaste paysage amtorien fut baigné par la douce et mystérieuse lumière nocturne que la bienveillante nature avait accordée à une planète sans lune. Apparemment aussi illimitée que l’espace interstellaire, la mer infinie ondoyait jusqu’aux dernières limites de notre univers, luisant faiblement. Ni terre, ni navire, ni chose vivante ne troublait la terrible sérénité du paysage – rien que notre avion silencieux et nous deux, atomes infinitésimaux errant sans but à travers l’espace. Duare se rapprocha un peu plus de moi. La compagnie était bonne dans cette infinie solitude.
Durant la nuit, le vent tourna et souffla du sud, et à l’aube je vis des bancs de nuages qui ondulaient devant nous. L’air était bien plus froid. À l’évidence, nous rencontrions la traîne d’une tempête du pôle sud. Je n’aimais pas l’aspect de ce brouillard. J’avais des instruments de pilotage sans visibilité sur le tableau de commandes mais, même ainsi, qui voudrait voler sans visibilité dans un monde dont il ignorait tout de la topographie ? Je n’avais pas non plus très envie d’attendre à la surface de la mer que le brouillard se dissipât. Cela aurait sans doute été sans danger, mais j’avais vu trop de léviathans qui caracolaient dans les eaux en dessous de nous pour être tenté de passer plus de temps qu’il n’était absolument nécessaire à la surface de l’eau. Je décidai de changer de cap et de voler vers le nord, pour précéder le brouillard. Ce fut alors que Duare désigna quelque chose devant elle.
— N’est-ce pas une terre ? demanda-t-elle.
— Cela a assurément tous les aspects d’une terre, dis-je, après avoir bien regardé.
— Peut-être est-ce notre île, suggéra-t-elle en riant.
— Nous allons y jeter un coup d’œil avant que le brouillard la recouvre. Nous pouvons toujours battre ce brouillard de vitesse s’il devient trop épais.
— Ce sera bon de revoir la terre, dit Duare.
— Oui, reconnus-je. Nous avons regardé bien trop d’eau.
Comme nous approchions de la côte, nous vîmes des montagnes dans le lointain et, très au nord-ouest, quelque chose qui ressemblait à une de ces forêts d’arbres géants comme ceux qui couvrent presque toute la superficie de l’île de Vépaja.
— Oh, voici une cité ! s’exclama Duare.
— C’est bien ça, un port. Une cité de très belle taille, de surcroît. Je me demande quel genre de gens vivent là.
Duare secoua la tête.
— Je l’ignore. Il y a un pays au nord-ouest de Vépaja que l’on appelle Anlap. Je l’ai vu sur la carte. Il se situe en partie en Trabol et en partie en Strabol. Les cartes montrent que c’est une île, une très grande île ; mais bien sûr personne ne sait. Strabol n’a jamais été parfaitement exploré.
Il me semblait que rien sur Vénus n’avait été parfaitement exploré, et je ne pouvais m’en étonner. Les hommes les plus compétents que j’avais rencontrés ici s’accrochaient à la croyance que c’était un monde en forme de soucoupe flottant sur une mer en fusion. Ils pensaient que sa plus grande circonférence se situait là où je savais que c’était le pôle sud, et sur leurs cartes l’équateur n’était même pas un point. Ils n’ont jamais imaginé l’existence d’un autre hémisphère. Avec des cartes basées sur un raisonnement si erroné, tout était déformé ; et, puisque leurs cartes étaient inutiles, aucun navigateur n’osait sortir des eaux familières, et il ne perdait que rarement la terre de vue.
Comme nous approchions de la cité, je vis qu’elle était ceinte d’un mur et solidement fortifiée ; et une inspection plus attentive révéla qu’elle était assiégée par une grande armée. Le bourdonnement des fusils amtoriens parvenait faiblement à nos oreilles. Nous vîmes les défenseurs sur les murailles et, par delà les murailles, nous vîmes l’ennemi – de longues lignes d’hommes encerclant la cité, chacun caché derrière son bouclier.
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