Ces boucliers sont composés d’un métal plus ou moins imperméable tant aux rayons R qu’aux rayons T et, grâce à eux, les forces d’attaque étaient bien plus mobiles que cela n’aurait été possible si les hommes avaient eu affaire à des balles terriennes ; c’était pratiquement comme si chaque homme portait sa propre tranchée. Les troupes pouvaient être manœuvrées presque n’importe où sur le champ de bataille sous un feu nourri, avec un minimum de pertes.

Comme nous survolions la cité, les tirs cessèrent des deux côtés. Nous vîmes des milliers de visages levés vers nous et j’imaginai aisément l’émerveillement et la stupeur que l’appareil devait éveiller dans les esprits de ces milliers de soldats et de civils, dont aucun n’aurait même pu concevoir la nature de cette gigantesque chose ressemblant à un oiseau qui filait silencieusement au-dessus d’eux. Comme chaque partie de l’appareil, que ce fût le bois, le métal ou le tissu, avait été aspergée d’une solution de cette substance résistant aux rayons, je sentais que je pouvais sans risque voler à basse altitude au-dessus des belligérants. Je descendis donc en spirale et, décrivant un cercle, je volai au ras du mur de la cité. Puis je me penchai et agitai la main. Un grand cri monta du côté des hommes de la cité, mais les attaquants restèrent silencieux un moment. Puis une salve fut tirée sur nous.

L’appareil était peut-être recouvert d’un matériau résistant aux rayons ; mais Duare et moi ne l’étions pas, et je m’élevai donc en chandelle jusqu’à une altitude plus sûre et je tournai la proue de l’appareil vers l’intérieur des terres pour poursuivre mon exploration. Dépassant les lignes des assiégeants, nous volâmes vers le sud-ouest, d’où des troupes marchaient vers le campement. Il y avait de longs convois de chariots tirés par d’immenses bêtes faisant penser à des éléphants, des hommes montés sur d’étranges animaux, de grosses armes à rayon T, et tous les autres accessoires d’une grande armée en marche.

Me tournant vers le nord, j’explorai davantage, en quête d’informations. Je voulais en savoir un peu plus sur ce pays et sur le caractère de ses habitants. D’après ce que j’avais déjà vu, leur nature était sans équivoque belliqueuse ; mais il y avait peut-être quelque part une cité paisible, hospitalière, où les étrangers seraient traités avec courtoisie. Ce que je recherchais, c’était un individu isolé que je pourrais interroger sans risque pour Duare ou pour moi-même, car atterrir au milieu de ces combattants aurait sans doute été fatal – surtout au milieu des camarades du contingent qui nous avait tiré dessus. L’attitude des défenseurs de la cité avait été plus amicale, mais je ne pouvais quand même pas me risquer à atterrir là sans rien savoir sur eux. De plus, il ne semblait guère sage d’atterrir dans une cité assiégée qui, vu le nombre des attaquants, risquait d’être prise d’un jour à l’autre. Duare et moi recherchions la paix, pas la guerre.

Je couvris une portion considérable de terrain sans voir un être humain, mais enfin je découvris un homme seul qui sortait d’un canyon entre des collines, plusieurs kilomètres au nord du grand camp que j’ai mentionné. Comme je descendais vers lui, il se retourna et leva les yeux. Il ne s’enfuit pas, mais resta sur ses positions, et je le vis porter la main à sa hanche pour sortir son pistolet.

— Ne tire pas ! lui lançai-je, le dépassant en planant. Nous sommes des amis.

— Que veux-tu ? cria-t-il.

Je décrivis un cercle et revins en arrière, me posant à quelque deux cents mètres de lui.

— Je suis un étranger, lui criai-je. Je veux demander des informations.

Il s’approcha de l’appareil fort hardiment mais il tenait son arme prête pour toute éventualité. Je sortis du cockpit et vins à sa rencontre, levant la main droite pour montrer que je ne tenais pas d’arme. Il leva la gauche – il ne prenait pas de risques, mais ce geste témoignait d’une attitude amicale, ou tout au moins pas belliqueuse.

Un demi-sourire apparut sur ses lèvres comme je descendais de l’appareil.

— Ainsi, tu es un être humain, après tout, fit-il. Je me suis d’abord demandé si tu faisais partie de cette chose, quelle qu’elle soit. D’où viens-tu ? Que veux-tu de moi ?

— Nous sommes des étrangers, lui dis-je. Nous ne savons même pas dans quel pays nous sommes. Nous voudrions connaître l’attitude des gens d’ici envers les étrangers et savoir s’il y a une cité où nous pourrions être reçus avec hospitalité.

— C’est le territoire de Anlap, fit-il, et nous sommes dans le royaume de Korva.

— Quelle est cette cité près de la mer ? Il y avait des combats là-bas.

— Tu as vu le combat ? demanda-t-il. Comment était-ce ? La cité est-elle tombée ?

Il semblait avide de nouvelles.

— La cité n’est pas tombée, dis-je, et les défenseurs semblaient avoir bon moral.

Il poussa un soupir de soulagement. Soudain sa mine s’assombrit.

— Comment puis-je savoir que tu n’es pas un espion Zani ? interrogea-t-il.

Je haussai les épaules.

— Tu ne le peux pas, fis-je, mais je n’en suis pas un. Je ne sais même pas ce qu’est un Zani.

— Non, tu ne pourrais en être un, dit-il au bout d’un moment. Avec tes cheveux jaunes, je ne sais pas ce que tu pourrais être – certainement pas quelqu’un de notre race.

— Eh bien, pourquoi ne pas répondre à certaines de mes questions ? m’enquis-je avec un sourire.

Il sourit à son tour.

— C’est vrai.