Ils venaient en foules, bloquant les avenues. J’espérais que l’on avait envoyé un détachement de soldats suffisant pour les empêcher d’envahir le terrain et de mettre en pièces l’avion et nous-mêmes. J’étais si inquiet que je repris de l’altitude et je dis à Taman d’écrire un autre mot demandant qu’une importante garde militaire fût là pour maintenir les gens loin de l’appareil. C’est ce qu’il fit, puis je redescendis pour lancer le mot sur le terrain près d’un groupe d’hommes qui étaient, me dit Taman, des officiers. Cinq minutes plus tard, nous vîmes tout un bataillon entrer sur le terrain et se mettre en position sur les côtés. Alors, je vins me poser.
Bon sang, que ces gens étaient émus ! Ils en avaient vraiment le souffle coupé, et ils demeurèrent silencieux tandis que l’appareil roulait jusqu’à presque s’arrêter. Alors ils se mirent à nous acclamer bruyamment. Cela me fit bien sûr chaud au cœur de me rendre compte que nous étions les bienvenus quelque part dans le monde, car notre situation avait jusque-là semblé totalement désespérée, sachant d’après nos expériences passées que les étrangers sont rarement les bienvenus dans n’importe quelle cité amtorienne. Ma propre expérience lors de mon atterrissage en Vépaja après avoir quitté ma fusée l’avait prouvé car, même si je fus finalement accepté, j’étais demeuré pendant une longue période virtuellement prisonnier dans le palais du jong.
Après que Taman eût mis pied à terre, j’entrepris d’aider Duare à sortir et, comme elle s’avançait sur l’aile, bien en vue de la foule, les acclamations cessèrent et il y eut un moment de silence, comme si tous avaient le souffle coupé. Puis leurs hourras éclatèrent à nouveau. Ce fut une merveilleuse ovation qu’ils offrirent à Duare. Je crois qu’ils ne s’étaient pas rendu compte que le troisième membre du groupe était une femme avant son apparition devant tous les regards. La révélation que c’était une femme, ajoutée à sa saisissante beauté, leur coupa littéralement le souffle. Vous pouvez être certain que j’aimais le peuple de Sanara dès ce moment.
Plusieurs officiers s’étaient approchés des l’appareil, et ce fut bien sûr le moment des salutations et des présentations. Je vis avec quelle déférence ils traitaient Taman et je compris que j’avais eu la chance de faire d’un homme vraiment important mon obligé. Je ne devais apprendre que plus tard à quel point c’était un personnage important.
Tandis que nous tournions au-dessus du terrain, j’avais remarqué plusieurs de ces immenses animaux, pareils à ceux que j’avais vus tirant les affûts et les chariots de l’armée des Zanis, debout d’un côté du champ derrière la foule. Plusieurs bêtes furent alors conduites sur le terrain, et jusqu’à l’appareil, du moins aussi près que leurs cornacs purent les faire avancer ; car elles avaient manifestement peur de cette chose étrange. À présent, pour la première fois, je voyais de près un gantor. Cet animal était plus grand qu’un éléphant d’Afrique et ses pattes étaient fort semblables à celles de ce dernier, mais là s’arrêtait la ressemblance. La tête était comme celle d’un taureau et armée d’une solide corne, longue d’environ trente centimètres, qui poussait au milieu du front, il avait une vaste gueule, et les puissantes mâchoires étaient garnies de très grosses dents ; son pelage, en arrière des épaules, était court et d’un jaune légèrement roux semé de taches blanches comme chez un cheval de race pinto ; et, couvrant les épaules et le cou court, il y avait une épaisse crinière sombre ; la queue était comme celle d’un taureau ; trois énormes orteils cornés couvraient tout le bas des pattes, formant des sabots. Le cornac de chaque animal était assis sur la crinière au-dessus des épaules ; et, derrière lui, sur le long et large dos se trouvait un palanquin découvert capable d’accueillir une douzaine de personnes. C’est du moins la description du palanquin du premier animal que j’examinai. Je vis par la suite qu’il y avait de nombreuses formes de palanquins, et en fait celui porté par l’animal que l’on amena pour nous conduire hors du terrain, Duare, Taman et moi, était un palanquin très ouvragé à quatre places. Une échelle était attachée sur le flanc gauche de chaque gantor et, lorsque les cornacs eurent persuadé leurs montures d’approcher autant que possible de l’appareil, chaque cornac sauta à terre et plaça son échelle contre le flanc de l’animal. Les passagers montèrent par ces échelles dans les palanquins. J’observai toute cette marche à suivre avec intérêt, me demandant comment le cornac allait regagner son siège s’il rattachait l’échelle sur le flanc du gantor ou ce qu’il ferait de l’échelle s’il l’utilisait pour remonter sur le gantor.
Eh bien, ma curiosité fut bientôt satisfaite. Chaque cornac rattacha son échelle sur le flanc du gantor et donna un ordre. Aussitôt l’animal baissa la tête jusqu’à presque toucher le sol du museau, ce qui amena sa corne en position horizontale à environ un mètre du sol. Le cornac grimpa sur la corne et donna un nouvel ordre, le gantor leva la tête et le cornac monta sur sa nuque et de là sur son siège au-dessus des épaules.
Les palanquins des autres gantors étaient emplis d’officiers et de soldats qui nous servirent d’escorte pour quitter le champ, certains nous précédant, d’autres nous suivant, et nous sortîmes du terrain pour suivre une large avenue. À notre passage, les gens saluaient en levant les mains, bras tendus à un angle de quarante-cinq degrés, paumes croisées.
1 comment