Je remarquai qu’ils le faisaient seulement à l’approche de notre gantor et je compris bientôt qu’ils saluaient Taman, qui répondait aux saluts en s’inclinant à droite et à gauche. Ainsi j’avais une nouvelle preuve que c’était un homme important.

Les gens dans la rue portaient la tenue sommaire qui est courante sur Amtor, où il fait en général chaud et lourd ; et ils portaient aussi, selon ce qui a l’air d’une coutume universelle, des poignards et des épées, les premiers pour les femmes, les deux pour les hommes. Les soldats qui se trouvaient parmi eux portaient aussi des pistolets glissés dans des fourreaux sur leurs hanches. C’étaient des gens très sympathiques, bien mis, avec des visages avenants. Les édifices longeant l’avenue étaient enduits de stuc ; mais j’ignorais de quel matériau ils étaient faits. Les lignes architecturales étaient simples mais fort saisissantes et, malgré la sobriété des formes, les bâtisseurs avaient créé une diversité qui engendrait d’agréables contrastes.

Comme nous avancions pour tourner dans une autre avenue, les édifices devinrent plus grands et plus beaux, mais l’on voyait toujours la même simplicité de ligne. Comme nous approchions d’un bâtiment assez grand, Taman me dit que c’était le palais du gouverneur, où le neveu du jong vivait et régnait en l’absence de son oncle. Nous nous arrêtâmes devant un autre grand édifice, juste face au palais du gouverneur. Une garde de soldats était de faction devant une immense porte construite au centre du mur de devant, qui était au ras du trottoir. Ils saluèrent Taman et ouvrirent la porte. Notre escorte s’était déjà retirée de l’autre côté de l’avenue. À présent, notre cornac guidait son énorme monture dans le large couloir d’entrée pour déboucher dans une immense cour, où il y avait des arbres, des fleurs et des fontaines. C’était le palais de Taman.

Du bâtiment jaillit une petite armée de gens, que je ne pus bien sûr identifier, mais j’appris plus tard que c’étaient des officiers et des fonctionnaires du palais, des serviteurs et des esclaves. Ils accueillirent Taman avec la plus parfaite déférence, mais leur attitude dénotait une affection réelle.

— Informe la janjong que je suis de retour et que j’amène des invités dans ses appartements, ordonna Taman à un des officiers.

Eh bien, janjong signifie littéralement fille d’un jong ; autrement dit, princesse. C’est le titre officiel de la fille d’un jong vivant, mais il est souvent utilisé tout au long d’une vie comme titre honorifique après la mort d’un jong. Un tanjong, un fils de jong, est un prince.

Taman lui-même nous conduisit à nos appartements, sachant que nous aimerions nous rafraîchir avant d’être présentés à la janjong. Des filles esclaves prirent en charge Duare et un esclave me conduisit à mon bain et m’apporta des habits propres.

Nos appartements, constitués de trois pièces et de deux salles de bain, étaient magnifiquement décorés et meublés. Ce devait être le paradis pour Duare qui avait été privée de beauté et de confort depuis qu’on l’avait enlevée du palais de son père, plus d’un an auparavant.

Lorsque nous fûmes prêts, un officier arriva et nous conduisit dans une petite salle de réception au même étage, mais à l’autre extrémité du palais. Taman nous attendait là. Il nous demanda comment il fallait nous présenter à la janjong et, lorsque je lui dis le titre de Duare, je vis qu’il était à la fois content et surpris. Pour ma part, je lui demandai de me présenter sous le nom de Carson de Vénus. Bien sûr, le mot Vénus ne signifiait rien pour lui, car la planète est connue de ses habitants sous le nom d’Amtor. Nous fûmes alors conduits en présence de la janjong. Les formalités de présentation sur Amtor sont à la fois simples et directes ; pas de discours ampoulé ici. On nous mena en présence d’une très belle femme, qui se leva et sourit à notre approche.

— Voici mon épouse, Jahara, janjong de Korva, annonça Taman.

Puis il se tourna vers Duare :

— Voici Duare, janjong de Vépaja, épouse de Carson de Vénus, et, me désignant : Voici Carson de Vénus.

Tout cela était très simple. Bien sûr, Taman ne dit pas « épouse » – il n’y a pas de mariage chez aucun des peuples que j’ai rencontrés sur Amtor. Deux personnes décident simplement de vivre ensemble et sont en général fidèles l’une à l’autre comme les couples mariés sont censés l’être sur Terre. Elles peuvent se séparer et prendre d’autres conjoints si tel est leur désir, mais elles le font rarement. Depuis la découverte du sérum de longévité, bien des couples ont vécu ensemble pendant mille ans en parfaite harmonie – peut-être parce que le lien qui les unissait n’était pas une chaîne. Le mot que Taman utilisa à la place d’épouse était ooljaganja – femme d’amour.