Les assiégeants ne pouvaient entrer dans la cité, et les assiégés ne pouvaient sortir. Telle était la situation le jour où, un mois après mon arrivée à Sanara, Muso me convoqua. Il marchait de long en large dans une petite salle d’audience lorsqu’on me conduisit en sa présence. Il semblait nerveux et mal à l’aise. Je supposai sur le moment qu’il s’inquiétait de l’apparente impossibilité de briser le siège, car ce fut de cela qu’il parla d’abord. Plus tard, il en vint au fait.

— J’ai une mission pour toi, Capitaine, dit-il. Je veux faire parvenir un message à un de mes agents secrets à Amlot. Avec ton appareil, tu peux facilement franchir les lignes ennemies et arriver dans les parages d’Amlot sans le moindre risque d’être capturé. Je peux t’indiquer un endroit où tu pourras entrer en contact avec des personnes qui sauront te faire entrer dans la cité. Ensuite, ce sera à toi de jouer. Tu dois garder le secret sur cette expédition – personne à part toi et moi ne doit être au courant, pas même Taman, pas même ton épouse. Tu partiras de bon matin sous le prétexte d’une expédition de bombardement et tu ne reviendras pas – du moins pas avant d’avoir accompli ta mission. Et ensuite le secret ne sera plus nécessaire. Si tu réussis, je ferai de toi un noble – un ongvoo, pour être précis – et lorsque la guerre sera finie et la paix revenue, je veillerai à ce que tu reçoives des terres et un palais.

Eh bien, le titre de ongvoo signifie littéralement « très honoré » et est héréditaire chez les branches collatérales de la famille royale, mais il peut occasionnellement être conféré à des membres de la noblesse pour un service très méritoire rendu au jong. Il me sembla sur le moment que le service qui m’était confié ne méritait pas une telle récompense, mais je n’y réfléchis guère. Il aurait mieux valu que je le fasse.

Muso s’approcha d’un bureau et sortit d’un tiroir deux minces étuis en cuir, semblables à des enveloppes.

— Ceux-ci contiennent les messages que tu dois livrer, fit-il. Taman m’a dit que, comme tu viens d’un autre monde, tu ne lis sans doute pas l’amtorien. Et donc, sur chacun, tu écriras dans ton propre langage les noms et les adresses de ceux à qui tu dois les remettre.

Il me tendit un crayon et un des étuis.

— Tu livreras celui-là à Lodas dans sa ferme, cinq klookob au nord-ouest d’Amlot. Je te donnerai une carte où l’emplacement sera marqué. Lodas se chargera de te faire entrer dans Amlot. Là, tu remettras cet autre message à un homme nommé Spehon, de qui tu recevras d’autres instructions.

Dans un autre tiroir du bureau il prit une carte et la déploya sur la table.

— Voici, dit-il en traçant une marque sur la carte un peu au nord-ouest d’Amlot, une colline aplatie entre deux rivières qui se rejoignent juste au sud-est. Au confluent de ces deux rivières se trouve la ferme de Lodas. Tu ne dévoileras pas à Lodas le but de ta mission ou le nom de l’homme que tu dois rencontrer à Amlot.

— Mais comment vais-je trouver Spehon ? m’enquis-je.

— J’y arrive. Il se fait passer pour un Zani et il est haut placé dans les conseils de Mephis. Son bureau est dans le palais jadis occupé par mon oncle, Kord, le jong de Korva. Tu n’auras pas de mal à le trouver. Mais, bien sûr, tu ne seras pas en sécurité à Amlot avec tes cheveux jaunes. Ils éveilleraient aussitôt des soupçons. Avec une chevelure noire, tu ne risqueras trop rien si tu ne parles pas beaucoup car, même s’ils voient que tu n’es pas membre du parti Zani, cela n’aura rien de suspect comme tous les citoyens d’Amlot ne sont pas membres du parti, tout en pouvant être loyaux à Mephis.

— Comment verront-ils que je ne suis pas membre du parti ? demandai-je.

— Les Zanis se démarquent grâce à une coupe de cheveux singulière, m’expliqua-t-il. Ils se rasent la tête, à l’exception d’une crête de cheveux, large d’environ six centimètres, qui va du front à la nuque.