Je crois que tu as bien compris tes instructions, pas vrai ?

Je lui dis que oui.

— Alors, voici les enveloppes et la carte ; et voici aussi un flacon de teinture pour te colorer les cheveux après avoir quitté Sanara.

— Tu as pensé à tout, dis-je.

— C’est ce que je fais généralement, fit-il remarquer avec un sourire. Eh bien, y a-t-il quelque chose que tu voudrais demander avant de partir ?

— Oui, dis-je. J’aimerais te demander la permission de prévenir mon épouse que je serai absent quelque temps. Je ne désire pas qu’elle s’inquiète inutilement.

Il secoua la tête.

— C’est impossible, fit-il. Personne ne doit savoir. Il y a des espions partout. Si je m’aperçois qu’elle s’alarme outre mesure, je te promets que je la rassurerai. Tu partiras tôt demain matin. Je te souhaite bonne chance.

Cela semblait conclure l’audience. Et donc, je saluai et me retournai pour sortir. Avant que je fusse à la porte, il reprit la parole.

— Tu es certain que tu ne peux lire l’amtorien ? demanda-t-il.

Je trouvai la question un peu étrange et son ton un brin trop pressant. Peut-être est-ce cela – j’ignore ce que cela aurait pu être d’autre – qui me poussa à répondre comme je le fis.

— Si c’est nécessaire, dis-je, peut-être ferais-tu mieux d’envoyer quelqu’un d’autre. Je pourrais le conduire en avion à la ferme de Lodas et le ramener une fois sa mission achevée.

— Oh, non, se hâta-t-il de m’assurer. Il ne sera pas nécessaire que tu lises l’amtorien.

Puis il me donna congé. Bien sûr, ayant étudié avec Danus dans le palais du jong de Vépaja, je savais lire l’amtorien tout aussi bien que Muso lui-même.

Toute la soirée, j’eus l’impression d’être un traître envers Duare ; mais j’avais juré allégeance à Muso et, tant que je le servais, je devais obéir à ses ordres. Le lendemain matin, comme je lui donnais un baiser d’au revoir, j’eus soudain la prémonition que ce serait peut-être la dernière fois. Je la serrai, redoutant de la quitter ; et elle dut sentir à la tension de mon corps que quelque chose n’allait pas.

Elle me regarda, interrogatrice.

— Il y a quelque chose qui ne va pas, Carson, fit-elle. Qu’est-ce que c’est ?

— C’est juste que ce matin j’ai horreur de te quitter, encore plus que d’habitude.

Puis je l’embrassai et partis.

Suivant mon propre plan pour tromper l’ennemi sur ma destination possible, je partis vers l’est, survolant l’océan, bifurquai vers le nord après être sorti de leur champ de vision puis je tournai vers l’ouest bien au nord de leur camp et j’atteignis à nouveau l’océan à l’ouest d’Amlot. Volant parallèlement à la côte et quelques kilomètres à l’intérieur des terres, je n’eus pas de mal à localiser la colline aplatie qui était mon repère principal. Durant le vol, j’avais teint mes cheveux en noir, et l’insigne de mon affectation et de mon grade avait été retiré du léger harnachement qui, avec mon pagne, constituait mon habit. À présent je pouvais passer pour un citoyen ordinaire d’Amlot, à condition que personne ne remarque la couleur de mes yeux.

Je repérai facilement la ferme de Lodas au confluent des rivières et je décrivis un cercle à basse altitude, cherchant un lieu convenable pour l’atterrissage. À ce moment, plusieurs des hommes qui travaillaient dans les champs laissèrent tomber leurs outils et coururent vers la maison, d’où plusieurs autres personnes sortirent pour observer l’appareil. Nous causions visiblement un grand émoi et, lorsque j’atterris finalement, plusieurs hommes vinrent prudemment vers moi avec des armes, prêts à toute éventualité. Je descendis du cockpit et m’avançai à leur rencontre, tenant les mains au-dessus de la tête pour les assurer que mes intentions étaient amicales. Quand nous fûmes à portée de voix, je les hélai.

— Lequel de vous est Lodas ? demandai-je.

Ils s’arrêtèrent tous et regardèrent un grand gaillard qui était à leur tête.

— Je suis Lodas, répondit-il. Qui es-tu ? Et que veux-tu de Lodas ?

— J’ai un message pour toi, dis-je en tendant l’enveloppe de cuir.

Il s’avança, un peu hésitant, et me la prit. Les autres attendirent tandis qu’il l’ouvrait et lisait.

— Très bien, dit-il enfin, viens dans la maison avec moi.

— D’abord je voudrais installer mon appareil dans un endroit sûr, lui dis-je. Quel lieu suggères-tu ? Il doit être à l’abri du vent et se trouver quelque part où on peut le surveiller en permanence.

Il le regarda un moment d’un air dubitatif ; puis il secoua la tête.

— Je n’ai pas de bâtiment assez grand pour le contenir, fit-il enfin, mais tu peux le mettre entre ces deux bâtiments là-bas. Il y sera protégé du vent.

Je regardai dans la direction qu’il indiquait et vis deux grandes constructions, probablement des granges. Je trouvai qu’elles feraient l’affaire aussi bien que tout ce qu’il pouvait offrir d’autre.