Elle dit que oui – beaucoup – mais demanda quel bien cela pouvait lui faire.
— Voilà notre dîner en bas, dis-je en tendant la main.
— Oui, mais le temps que nous descendions il sera parti, fit-elle. Attends donc qu’ils aperçoivent cette chose. Il n’y en aura plus aucun à des kilomètres à la ronde, le temps que tu poses cette chose sur le sol – à moins qu’elle n’en fasse mourir quelques-uns de peur.
Elle ne dit pas kilomètres, bien sûr ; elle dit klookob, le kob étant une unité de distance équivalant à environ quatre kilomètres terriens, le préfixe kloo marquant le pluriel. Mais elle dit « cette chose » en Amtorien.
— S’il te plaît, n’appelle pas mon beau vaisseau « cette chose », la priai-je.
— Mais ce n’est pas un vaisseau, contra-t-elle. Un vaisseau va sur l’eau. J’ai un nom pour lui, Carson – c’est un anotar.
— Splendide ! applaudis-je. Ce sera anotar.
C’était un bon nom, aussi ; car notar signifie vaisseau et an est le mot amtorien pour oiseau – vaisseau-oiseau. Je trouvais cela mieux que vaisseau aérien, sans doute parce que Duare l’avait inventé.
J’étais à une altitude d’environ trois cents mètres, mais comme mon moteur était absolument silencieux, aucun des animaux en dessous de nous n’avait encore conscience de l’étrange chose qui les survolait. Comme j’entamais une descente en spirale, Duare poussa un petit hoquet et me toucha le bras. Elle ne le saisit pas, comme auraient pu le faire certaines femmes ; elle le toucha simplement, comme si ce contact lui donnait de l’assurance. Ce devait être une expérience assez terrifiante pour quelqu’un qui n’avait jamais vu un avion avant ce matin.
— Que vas-tu faire ? demanda-t-elle.
— Je descends chercher notre dîner. N’aie pas peur.
Elle ne dit plus rien mais elle garda sa main sur mon bras. Nous descendions rapidement lorsque soudain un des animaux qui paissaient leva la tête ; et, à notre vue, il poussa un sonore grognement d’alarme et s’élança à travers la plaine. Puis tous prirent la fuite, paniqués. Je redressai l’appareil et partis à leur suite, descendant jusqu’à être juste au-dessus de leur dos. À l’altitude où nous volions, la vitesse au sol avait sans doute paru lente pour elle ; si bien qu’à présent que nous étions à quelques mètres seulement du sol, elle fut surprise de s’apercevoir que nous pouvions facilement battre de vitesse les plus véloces des bêtes qui couraient.
Je ne trouve pas très sportif de tirer d’un avion sur des animaux, mais je ne m’adonnais pas au sport – je cherchais de la nourriture, et c’était à peu près le seul moyen que j’avais d’en obtenir sans risquer nos vies en chassant à pied. Ce fut donc sans remords que je sortis mon pistolet et abattis un jeune spécimen dodu d’une étrange espèce d’herbivores inconnue sur notre monde, du moins je crois que c’était un jeune – il en avait l’air. La chasse nous avait conduits tout près d’une frange de forêt qui poussait le long des rives d’un affluent du Fleuve de la Mort ; si bien que je dus virer assez sèchement pour éviter de finir parmi les arbres. Lorsque je lançai un regard à Duare, elle était très blanche mais elle gardait la tête droite. Le temps que je me pose près de ma proie, la plaine était déserte.
Laissant Duare dans le cockpit, je sortis pour saigner et pour découper l’animal. J’avais l’intention de tailler autant de viande qui pourrait rester fraîche, à mon avis, le temps que nous en userions, puis de décoller et de voler vers un campement temporaire plus approprié.
Je travaillais près de l’avion et ni Duare ni moi ne faisions face à la forêt qui s’étendait à peu de distance seulement derrière nous. Bien sûr, nous fûmes imprudents de ne pas mieux monter la garde ; mais je suppose que nous étions tous deux absorbés par mon travail de boucher qui, je dois l’admettre, était sans aucun doute étrange et fascinant à contempler.
La première sensation de danger imminent que j’eus fut un cri effrayé de Duare : « Carson ! ». Comme je me tournais vers elle, je vis une bonne douzaine de guerriers qui venaient vers moi. Trois d’entre eux étaient déjà sur moi, épées brandies. Je n’eus aucune chance de me défendre et tombai sous ces épées comme un bœuf assommé, mais avant cela le bref aperçu que j’eus de mes assaillants révéla le fait étonnant que c’étaient tous des femmes.
Je dus rester là inconscient pendant plus d’une heure, et lorsque je repris conscience, je me retrouvai seul – les guerrières et Duare avaient disparu.
CHAPITRE II
LES GUERRIÈRES
À ce moment je fus plus près que jamais auparavant dans ma vie de l’écrasement psychologique. Voir Duare et le bonheur m’être arrachés après quelques brèves heures, au seuil même d’une relative sécurité, m’ébranla complètement sur le moment. Ce fut l’aspect le plus sérieux de la situation qui me rendit le contrôle de moi-même – le sort de Duare.
J’étais pas mal amoché. Ma tête et la partie supérieure de mon corps étaient couvertes de sang séché provenant de plusieurs vilains coups d’épées. Je ne comprendrai jamais pourquoi je n’avais pas été tué, et je suis certain que mes agresseurs m’avaient laissé pour mort. Mes blessures étaient fort graves, mais aucune n’était mortelle.
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