Je veux juste te parler.
Nous parlions dans la langue universelle d’Amtor.
— De quoi veux-tu me parler ? Mais d’abord dis-moi pourquoi tu as tué le tharban qui allait me tuer et me manger ?
— Pour qu’il ne puisse te tuer et te manger.
Il secoua la tête.
— C’est étrange. Tu ne me connais pas ; nous ne sommes pas amis ; alors pourquoi voudrais-tu me sauver la vie ?
— Parce que nous sommes tous deux des hommes, lui dis-je.
— C’est une bonne idée, reconnut-il. Si tous les hommes pensaient pareil, nous serions mieux traités que nous ne le sommes. Mais même ainsi beaucoup d’entre nous auraient peur. Quelle est cette chose dans laquelle tu voyageais ? Je vois maintenant qu’elle n’est pas vivante. Pourquoi est-ce qu’elle ne tombe pas sur le sol pour te tuer ?
Je n’avais ni le temps ni l’envie de lui expliquer la science de l’aérodynamique ; je lui dis donc qu’elle restait en l’air parce que je faisais en sorte qu’elle reste en l’air.
— Tu dois être un homme vraiment remarquable, fit-il avec admiration. Quel est ton nom ?
— Carson. Et le tien ?
— Lula, répondit-il.
Puis :
— Carson est un nom étrange pour un homme. On dirait davantage un nom de femme.
— Davantage que Lula ? m’enquis-je, réprimant un sourire.
— Oh mais oui ; Lula est un nom très masculin. Je trouve aussi que c’est un nom très doux, pas toi ?
— Très, lui assurai-je. Où vis-tu, Lula ?
Il désigna la direction d’où j’étais juste revenu après avoir perdu espoir d’y trouver un village.
— Je vis dans le village de Houtomai qui est dans le Canyon Étroit.
— À quelle distance est-ce ?
— Environ deux klookob, estima-t-il.
— Deux klookob !
Cela faisait huit kilomètres dans notre système de mesure linéaire, et j’avais survolé cette zone en tous sens sans voir trace de village.
— Il y a peu de temps, j’ai vu un groupe de guerrières avec des épées et des lances, dis-je. Sais-tu où elles vivent ?
— Elles vivent peut-être à Houtomai, dit-il, ou dans un des autres villages. Oh, nous autres les Samary nous avons beaucoup de villages ; nous sommes très puissants. Une des femmes était-elle grande et forte, avec une profonde cicatrice sur la gauche du visage ?
— En vérité je n’ai guère eu l’occasion de les observer de près, lui dis-je.
— Eh bien, c’est possible. Si tu t’étais trop approché d’elles, tu serais mort à présent, mais je me disais que Bund aurait pu être avec elles ; alors j’aurais su qu’elles étaient de Houtomai. Bund, vois-tu, est ma compagne. Elle est très forte et, en vérité, devrait être chef.
Il dit jong ce qui signifie roi ; mais chef semble un titre plus approprié pour le meneur d’une tribu de sauvages, et après ma brève rencontre avec les dames des Samary je pouvais témoigner de leur sauvagerie.
— Veux-tu me conduire à Houtomai ? demandai-je.
— Oh, je t’en prie, non, s’écria-t-il. Elles te tueraient, et maintenant que tu m’as sauvé la vie je ne songerais jamais à t’exposer à un danger.
— Pourquoi voudraient-elles me tuer ? m’enquis-je. Je ne leur ai jamais rien fait et je ne compte pas le faire.
— Cela ne veut rien dire pour les femmes des Samary, m’assura-t-il. Elles n’aiment pas beaucoup les hommes et elles tuent tous les étrangers qu’elles trouvent dans notre pays. Elles nous tueraient aussi si elles ne craignaient l’extinction de la tribu. À l’occasion, elles tuent vraiment quelques-uns d’entre nous, lorsqu’elles se mettent suffisamment en colère. Bund a tenté de me tuer hier mais j’ai pu courir plus vite qu’elle. Je me suis échappé et je me cache depuis. Je crois que sa colère est peut-être passée maintenant ; et donc je vais revenir discrètement pour voir.
— Suppose qu’elles aient capturé une étrangère, demandai-je. Qu’en feraient-elles ?
— Elles en feraient une esclave et l’obligeraient à travailler pour elles.
— La traiteraient-elles bien ?
— Elles ne traitent bien personne – à part elles-mêmes ; elles vivent grassement, dit-il avec rancœur.
— Mais elles ne la tueraient pas ? m’enquis-je. Tu ne crois pas qu’elles le feraient, pas vrai ?
Il haussa les épaules.
— Peut-être que si. Elles ont mauvais caractère ; et si une esclave fait une erreur, elle sera certainement battue. Souvent, elles les battent à mort.
— Aimes-tu beaucoup Bund ? l’interrogeai-je.
— Aimer Bund ! Qui a jamais entendu parler d’un homme aimant une femme ? Je la hais. Je les hais toutes.
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