Je n’ai pas promis que je n’irais pas en l’air.

C’était une vilaine ruse, je l’avoue, mais plus que la vie était enjeu pour moi et je savais que ce gaillard ne risquait rien.

— Tu ne dois pas avoir peur, le rassurai-je. C’est parfaitement sans danger. J’ai volé sur des millions de klookob en parfaite sécurité. Ouvre les yeux et regarde autour de toi. Tu t’y habitueras dans une minute ou deux et ensuite ça te plaira.

Il suivit mon conseil et, même s’il en eut d’abord le souffle coupé, bientôt son intérêt s’éveilla et il tourna le cou dans toutes les directions, cherchant des repères familiers.

— Tu es plus en sécurité ici que tu le serais à terre, lui dis-je. Ni les femmes ni les tharbans ne peuvent t’atteindre.

— C’est vrai, reconnut-il.

— Et tu devrais aussi être très fier, Lula.

— Pourquoi ? s’enquit-il.

— Autant que je sache, tu es le troisième être humain à avoir jamais volé dans l’air d’Amtor, à part les klangan ; et je ne les compte pas pour des humains, de toute façon.

— Non, fit-il, ils ne le sont pas – ce sont des oiseaux qui peuvent parler. Où me conduis-tu ?

— Nous y sommes. Je vais maintenant descendre.

Je décrivais des cercles au-dessus de la plaine où j’avais tué ma proie avant l’enlèvement de Duare. Deux fauves se repaissaient de la carcasse, mais ils prirent peur et s’enfuirent comme l’appareil descendait près d’eux pour atterrir. Sautant à terre, je découpai des lanières de graisse sur la carcasse, puis les jetai dans le cockpit, grimpai à bord et décollai. À présent, Lula était un aéronaute enthousiaste et sans la ceinture de sécurité il serait tombé lors d’une de ses frénétiques tentatives de tout voir dans toutes les directions en même temps. Soudain, il se rendit compte que nous ne volions pas en direction de Houtomai.

— Hé ! s’écria-t-il. Tu vas dans la mauvaise direction. Houtomai est là-bas. Où vas-tu ?

— Je vais chercher des cheveux noirs, lui dis-je.

Il me lança un regard effrayé. J’imagine qu’il croyait être en l’air avec un fou ; puis il se calma, mais continua à m’observer du coin de l’œil.

Je retournai vers le Fleuve de la Mort, où je me souvenais avoir vu une petite île plate ; et, abaissant mes flotteurs, j’atterris sur l’eau et pénétrai dans une petite crique qui creusait l’île. Je réussis, après quelques manœuvres, à atteindre la rive avec une corde et à attacher l’appareil à un petit arbre ; puis le demandai à Lula de venir sur la rive pour m’allumer un feu. J’aurais pu le faire moi-même, mais ces hommes primitifs y parviennent avec bien plus de célérité que je ne pourrais jamais en acquérir. Je récoltai dans un buisson un bon nombre de grandes feuilles à l’aspect verni. Lorsque le feu fut bien pris, je pris la plus grande partie de la graisse et la fis tomber, morceau par morceau, dans les flammes puis, lentement et très péniblement, je recueillais la suie sur le côté ciré des feuilles. Cela prit bien plus de temps que je l’avais espéré, mais enfin j’en eus assez pour mes besoins. Mélangeant la suie avec une petite quantité de la graisse restante, j’en frictionnai soigneusement ma chevelure, tandis que Lula m’observait avec un sourire qui s’élargissait. De temps à autre j’utilisais la surface immobile de la crique comme miroir et, lorsque j’eus achevé la transformation, je nettoyai mes mains et mon visage maculés de suie, utilisant les cendres du feu comme lessive indispensable pour détacher cette crasse graisseuse. En même temps, je lavais le sang sur mon visage et sur mon corps. À présent non seulement j’avais l’air d’un homme nouveau mais je me sentais comme tel. Je fus assez étonné de me rendre compte qu’avec toutes les émotions de la journée j’avais presque oublié mes blessures.

— À présent, Lula, dis-je, monte à bord et nous verrons si nous pouvons trouver Houtomai.

Le décollage sur le fleuve fut assez exaltant pour l’Amtorien, comme je dus prendre un très long élan sur le plan d’eau lisse, projetant de l’écume dans toutes les directions ; mais enfin nous fûmes en l’air, prenant la direction de Houtomai. Nous eûmes un peu de mal à localiser le Canyon Étroit car de ce nouveau point de vue le paysage d’ordinaire familier prenait un nouvel aspect pour Lula, mais enfin il poussa un cri et il désigna le bas. Je regardai et vis un étroit canyon aux parois abruptes, mais je ne vis pas de village.

— Où est le village ? m’enquis-je.

— Juste ici, répondit Lula.

Mais je ne voyais toujours rien.

— Mais on ne voit pas très bien les cavernes d’ici.

Je compris alors – Houtomai était un village de troglodytes. Rien d’étonnant à ce que je l’eusse survolé plusieurs fois sans l’identifier. Je décrivis plusieurs cercles, étudiant soigneusement le terrain et attentif aussi à l’heure.