Je savais que l’on devait être tout proche du coucher de soleil et j’avais un plan. Je voulais que Lula vienne dans le canyon avec moi et me montre la caverne où il habitait. Seul, je n’aurais jamais pu la trouver. Je craignais que, si je le ramenais trop tôt sur le sol, il pût se mettre en tête de partir aussitôt chez lui ; cela aurait pu causer une dispute et je risquais de perdre son aide et sa coopération.

J’avais découvert un endroit qui me semblait relativement sûr pour laisser l’avion et, comme la nuit tombait, j’effectuai un superbe atterrissage. Roulant vers un groupe d’arbres, j’y amarrai l’appareil de mon mieux ; cela me déplaisait fort de m’en aller en laissant cette belle chose seule dans cette région sauvage. Je ne redoutais pas trop qu’une bête l’endommage. J’étais certain que les animaux en auraient trop peur pour s’en approcher longtemps, mais j’ignorais ce que des sauvages humains ignorants pourraient lui faire s’ils la découvraient là : Cependant, il n’y avait rien d’autre à faire.

Lula et moi atteignîmes le Canyon Étroit bien après le crépuscule. Ce ne fut pas un voyage très agréable, entre les bêtes sauvages en chasse qui rugissaient et grondaient dans toutes les directions et Lula qui tentait de m’échapper. Il commençait à regretter sa promesse irréfléchie de m’aider et à penser à ce qui lui arriverait certainement si l’on découvrait qu’il avait amené un étranger au village. Je devais sans cesse le rassurer en affirmant que je le protégerais et jurerais par tout ce qu’un Amtorien tient pour sacré que je ne l’avais jamais vu au cas où les femmes m’interrogeraient.

Nous atteignîmes le pied de la falaise, où étaient creusées les cavernes des Houtomaiens, sans incident notable. Des feux brûlaient sur le sol – deux feux, un grand et un petit. Autour du grand feu étaient assemblées bon nombre de femmes robustes, accroupies, allongées, debout. Elles criaient et riaient d’une voix forte tout en arrachant des morceaux d’un animal qui avait cuit sur le feu. Autour du petit feu étaient assis quelques petits hommes. Ils étaient fort silencieux et, lorsqu’ils parlaient, c’était à voix basse, parfois l’un d’eux gloussait de rire, et alors tous regardaient craintivement en direction des femmes, mais ces dernières ne leur prêtaient pas plus attention que s’ils n’étaient qu’autant de cochons d’Inde.

C’est vers ce groupe d’hommes que Lula me conduisit.

— Ne dis rien, conseilla-t-il à l’invité indésirable que j’étais, et essaye de ne pas attirer l’attention sur toi.

Je demeurai en arrière des hommes assemblés autour du feu, cherchant à toujours laisser mon visage dans l’ombre. J’entendis les hommes saluer Lula et leur attitude me donna à penser qu’un lien d’amitié, forgé par leur détresse et par leur déchéance communes, les unissait. Je regardai aux alentours, recherchant Duare, mais je ne vis nulle trace d’elle.

— Comment est l’humeur de Bund, entendis-je Lula demander.

— Aussi mauvaise que d’habitude, répondit un des hommes.

— Les razzias et la chasse ont-elles été bonnes aujourd’hui ? Avez-vous entendu une des femmes en parler ? poursuivit Lula.

— Très bonnes, fut la réponse. Il y a beaucoup de viande maintenant et Bund a amené une esclave qu’elle a capturée. Il y avait un homme avec elle, qu’elles ont tué, et la machine la plus étrange que l’on ait jamais contemplée. Je crois que même les femmes en avaient un peu peur, d’après ce qu’elles disaient. En tout cas, elles s’en sont bien sûr éloignées aussi vite que possible.

— Oh, je sais ce que c’était, dit Lula. C’était un anotar.

— Comment sais-tu ce que c’était ? s’enquit un des hommes.

— Quoi-euh-ne comprends-tu pas la plaisanterie ? demanda Lula d’une petite voix.

Je souris, me rendant compte qu’il s’en était fallu de peu que la vanité de Lula le pousse à se trahir. À l’évidence, même s’il pouvait avoir confiance en ses amis, il ne se fiait pas aveuglément à eux. Et je souris aussi de soulagement car je savais à présent que j’étais venu dans le bon village et que Duare était ici – mais où ? Je voulais interroger ces hommes, mais si Lula ne pouvait pas leur faire confiance, comment le pourrais-je ? Je voulais me lever et crier le nom de Duare. Je voulais qu’elle sache que j’étais là, impatient de la servir. Elle devait me croire mort et, telle que je connaissais Duare, je savais qu’elle risquait de s’ôter la vie de chagrin et de désespoir. Je devais la contacter d’une manière ou d’une autre. Je m’approchai discrètement de Lula et, lorsque je fus à ses côtés, je lui chuchotai à l’oreille.

— Éloigne-toi. Je veux te parler, fis-je.

— Va-t-en. Je ne te connais pas, chuchota Lula.

— Pour sûr que tu me connais et, si tu ne viens pas avec moi, je dis à tout le monde où tu as passé tout l’après-midi et que tu m’as conduit ici.

— Oh, tu ne ferais pas ça ! Lula tremblait.

— Alors, viens avec moi.

— Très bien, fit Lula et il se leva pour s’enfoncer dans les ombres par delà le feu.

Je désignai les femmes.

— Bund est-elle ici ? demandai-je.

— Oui, la grande brute qui nous tourne le dos, répondit Lula.

— Sa nouvelle esclave serait-elle dans la caverne de Bund ?

— Probablement.

— Seule ? m’enquis-je.

— Non, une autre esclave en qui Bund pourrait avoir confiance devrait la surveiller, pour éviter qu’elle s’enfuie.

— Où est la caverne de Bund ?

— Là-haut, au troisième niveau.

— Conduis-moi, ordonnai-je.

— Es-tu fou ou bien crois-tu que je le suis ? demanda Lula.

— Tu as le droit de monter sur la falaise, pas vrai ?

— Oui, mais je n’irais jamais dans la caverne de Bund à moins qu’elle me fasse appeler.

— Tu n’as pas à y entrer ; viens juste avec moi assez loin pour me la désigner.

Il hésita, se grattant la tête.

— Eh bien, dit-il enfin, c’est un moyen comme un autre de me débarrasser de toi ; mais n’oublie pas que tu m’as promis de ne pas leur dire que c’est moi qui t’ai conduit au village.

Je le suivis sur une échelle branlante jusqu’au premier puis au second niveau mais, alors que nous étions sur le point de monter au troisième, deux femmes étaient en train de descendre.