Je suis si triste qu’elle n’ait pas eu de cavalier !

– Nous aurons plus de chance un autre soir, j’espère, dit M. Allen en manière de consolation.

La foule diminuait. Maintenant on pouvait circuler avec plus d’aisance. Et pour une héroïne qui n’avait pas encore joué un rôle très distinct dans les événements de la soirée, le moment était venu d’être en relief. De cinq en cinq minutes, grâce aux déplacements de la foule, s’accroissaient les chances de succès de Catherine. Maints jeunes gens la pouvaient regarder, qui, dans la foule, ne l’avaient vue. Aucun cependant ne tressaillit d’un étonnement enthousiaste. Nul murmure de questions empressées ne se propagea. Et personne ne l’appela une déité. Cependant Catherine était très « à son avantage ». Qui l’eût vue trois ans auparavant, l’aurait trouvée maintenant fort belle.

On la regarda cependant, et avec quelque admiration, car, à portée de son oreille, deux messieurs la déclarèrent une jolie fille. Ces mots eurent un effet magique. Immédiatement elle jugea la soirée plus gaie ; sa petite vanité était satisfaite ; elle se sentit plus reconnaissante envers les deux jeunes gens pour cette simple louange, qu’une héroïne de qualité l’eût été pour quinze sonnets célébrant ses charmes, et elle alla vers sa voiture, réconciliée avec tout le monde et parfaitement satisfaite de la part d’attention que lui avait accordée le public.

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III

Chaque jour avait maintenant son cortège de devoirs réguliers : visiter les magasins, voir quelque nouvelle partie de la ville, passer une heure à la Pump-Room, où elles regardaient tout le monde et ne parlaient à personne.

Mme Allen ne se lassait pas de formuler son désir d’avoir à Bath de nombreuses relations, quoique l’expérience lui prouvât quotidiennement qu’elle n’y connaissait personne.

Elles firent leur apparition aux Lower Rooms et, cette fois, la fortune fut plus favorable à notre héroïne. Le maître des cé-

rémonies lui présenta comme danseur un jeune homme très distingué. Il s’appelait Tilney. Vingt-quatre ou vingt-cinq ans, grand, la figure agréable, l’œil très intelligent et vif, les façons courtoises – un jeune homme, sinon tout à fait beau, très près de l’être. Catherine était enchantée. Ils parlèrent peu en dansant. Mais quand ils se furent assis pour prendre le thé, il se montra tel qu’elle s’était imaginée qu’il fût : il parlait avec facilité, et, dans sa manière, il y avait une finesse et un enjouement qui impressionnaient Catherine. Après avoir parlé de ce qu’ils voyaient autour d’eux, il lui dit tout à coup :

– Jusqu’ici, mademoiselle, j’ai manqué à tous les devoirs d’un danseur : je ne vous ai pas encore demandé tout ensemble depuis combien de temps vous êtes à Bath, si vous vîntes jamais ici auparavant, si vous avez été aux Upper Rooms, au théâtre, au concert et si vous aimez cette ville. C’est impardonnable. Mais vous plairait-il maintenant de me satisfaire sur ces points ? S’il en est ainsi, je commence.

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– Ne vous mettez pas en peine de cela, monsieur.

– Ce n’est pas une peine, je vous assure, mademoiselle.

Alors, composant sa physionomie et adoucissant sa voix, il ajouta précieusement :

– Êtes-vous depuis longtemps à Bath, mademoiselle ?

– Depuis une semaine environ, monsieur, répondit Catherine, s’efforçant de ne pas rire.