Cet homme est dangereux

       PETER CHEYNEY

 

 

       Cet homme est dangereux

 

 

         TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR MARCEL DUHAMEL

 

         GALLIMARD

 

         © Editions Gallimard, 1945.

         Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays, y compris l’U. R. S. S.

 

 


 

   

   

   

 

    Le service central de la police de l’Oklahoma communique aux brigades volantes, à toute la police de la route…

    Recherchez le nommé Lemmy Caution qui s’est évadé aujourd’hui même de la prison d’Oklahoma City, après avoir tué le shérif intérimaire et un gardien.

    Aux dernières nouvelles, a été aperçu aux approches de la limite d’Etat, près de Talequah. Se rend probablement à Joplin. Soyez prudents. Cet homme est dangereux.

    Il est au volant d’un cabriolet Ford V-8 vert foncé, dont la vitre de la portière avant droite est cassée. La voiture porte des plaques d’immatriculation du Missouri, mais elles seront probablement changées. Caution est armé. C’est un tueur.

    Caution purgeait une condamnation de vingt ans de prison pour meurtre d’un policeman de l’Etat d’Oklahoma, l’année dernière.

    Le Service central de la police de l’Oklahoma alerte les brigades volantes, toute la police de la route… Recherchez cet homme. Prévenez les garagistes entre Tulsa et Talequah qu’il aura probablement besoin d’essence. En chasse, les gars, en chasse !

 

Chapitre Premier

    UN LEVAGE

    Rien n’aurait pu gâcher la vision que j’ai eue au coin de Haymarket et de Piccadilly, même pas Miranda Van Zelden.

    C’était par une de ces nuits…, vous voyez ce que je veux dire. Quand tout gaze bien, qu’on est d’attaque, à l’affût de toutes les combines, et qu’on a mis les autres dans sa poche.

    Tenez, regardez-moi : je m’appelle Lemmy Caution, de mon vrai nom, mais j’ai tellement d’états civils que des fois je ne sais plus si je me nomme Duchenoque ou si on est mercredi. A Chicago – le patelin que les dessalés appellent « Chi », pour bien vous montrer qu’ils ont lu des romans policiers écrits par un quelconque minable, un de ceux qui disent avoir manqué se faire descendre par les canonniers d’Al Capone, mais qu’ont pas tout à fait réussi – à Chicago, on m’avait surnommé « Doublé », parce qu’on racontait que, pour m’arrêter, fallait me coller au moins deux dragées dans la peau, et dans l’autre bled, là où les flics deviennent tout chose en pensant à moi, je suis connu sous le nom de Toledo.

    Je vous dis que je suis quelqu’un et si vous ne me croyez pas, allez seulement vous rencarder dans n’importe quelle turne où on s’occupe des casiers judiciaires et des empreintes digitales, et après ça, vous ne voudrez plus me lâcher.

    Ce qui au total est fort bien, mais ne nous mène nulle part ; ça ne fait pas avancer d’un pas la question Miranda Van Zelden, une môme qu’est drôlement à la page et qui m’a déjà donné pas mal de fil à retordre, je vous le dis sans charre.

    Toujours est-il que je trouvais Haymarket tout ce qu’il y a de chouette. Comprenez, j’ai encore jamais mis les pieds à Londres avant, et je peux pas m’empêcher de me voter une médaille en pensant à la façon dont j’y suis arrivé. Là-bas à New York, quelqu’un m’avait dit que les flics anglais sont tellement maries qu’ils passent leur temps à s’arrêter les uns les autres, rien que pour se faire la main ; on m’avait prévenu que j’avais à peu près autant de chances de passer au travers du contrôle des passeports qu’une gentille petite blonde de rester ingénue dans la maison de rendez-vous de la mère Licovatt, au coin de l’allée des Grecs et de la Deuxième Rue… Eh ben, y s’gouraient.

    J’ai réussi. Je me suis taillé en douce par Marseille, et là, une vieille cloche qui se fait un point d’honneur de rouler les types de la douane, me refile un passeport américain, mais de première, pour quatre cents dollars, avec dessus le nom d’un vrai mec et une photo qu’aurait pu être moi. Après avoir dégusté un marron sur la binette et tout le toutime…

    Je me balade dans Haymarket, il est onze heures, j’ai fait un dîner épatant, et je porte un smoking et un feutre noir. Si vous voulez en savoir plus long, alors je vous dirai que je pèse quatre-vingt-quinze kilos et que j’ai une bouille à faire pâmer les gonzesses parce que ça les change des types des ballets russes. En plus de ça, j’ai quéq’chose dans le crâne et quand je vous aurai dit qu’une môme de Toledo a failli se transformer les boyaux en corde à nœuds à boire de l’alcool frelaté simplement parce que je l’avais virée, alors vous serez fixés.

    Je vous ai dit qu’il faisait une nuit épatante. Je vadrouillais le long de Haymarket en réfléchissant tranquillement, parce qu’il faudrait pas croire que je suis un gars à prendre un tas de risques qu’est pas indiqués. C’t’histoire Miranda Van Zelden, ça n’a rien du quart d’heure des enfants, émission pour les jeunes, c’est moi qui vous le dis, et je savais qu’y avait un ou deux types prêts à me truffer au premier coin de rue s’ils avaient su ce qui se manigançait.

    Vous avez p’t’êt déjà entendu parler de la combine du « kidnapping ». On enlève un type ou une bonne femme, ou encore un gosse – faut que ce soit du monde bien, naturellement et on les garde simplement dans une planque jusqu’à ce que la famille se décide à cracher. Je connais un tas de types très bien qui gagnent leur croûte comme ça. C’est un biseness qu’a de la classe et qui rapporte, à condition de ne pas se faire cravater par les « Fédé ».

    Ce qui nous ramène exactement au point où j’en étais resté, pas vrai ? Les Fédé…, les agents spéciaux du ministère de la Justice, les p’tits gars qui ne connaissent que l’honneur et le devoir. Eh ben, j’ai comme qui dirait une idée qu’y en avait de ces zèbres-là sur le bateau venant de Marseille…, mais après tout, il sera toujours temps de revenir là-dessus plus tard.

    Et maintenant que je vous présente Miranda Van Zelden – la beauté faite femme. Un petit bravo, mesdames et messieurs. A présent que vous avez fait connaissance, je vais vous affranchir pour ce qui est de Miranda. C’te môme est l’héritière de dix-sept millions de dollars – ça vous la coupe, hein ? En plus, c’est la reine des tordues et à peu près la plus chouette bout de femelle dont puisse rêver un homme d’affaires surmené un soir qu’il est retenu tard au bureau.

    La première fois que j’ai adressé la parole à Miranda, c’était à l’auberge du Chèvrefeuille et du Jasmin, sur la grand-route de Toledo. À quelque distance de la ville. C’est le soir que Frenchy Squills décide de s’expliquer avec la bande à Lacassar, qu’est le tôlier de la boîte.