J’ai idée
que dans le tas y en avait bien trente pour cent qu’avaient un pétard planqué
sur eux quelque part et qui connaissaient la manière de s’en servir.
Au bout d’un moment, je m’avance vers
le bar qui est au fond de la salle et je commande un whisky-soda.
« C’est gentil chez vous, que je
dis au barman.
– Sans blague ! Vous avez
trouvé ça tout seul ?… Et après ? Il fait.
– Oh ! Ça va, je lui réponds, pas
la peine de prendre le mors aux dents. Ce que j’en disais, c’était histoire de
passer le temps.
– Vous gênez pas. Ça ne fait de mal
à personne de passer le temps et ça ne coûte rien, mais le whisky coûte un
dollar. »
Je lui dis que selon moi, un dollar c’est
chérot pour un whisky, à quoi il me retourne qu’il y en a des pour qui un dollar
c’est un tas d’argent. Pour l’heure, j’en suis arrivé à la conclusion que comme
source de renseignements, ce gars-là me sera à peu près aussi précieux qu’une migraine
de cheval. Alors je retraverse la piste, je passe sur la véranda et je
contourne la maison.
Le garage qu’est situé derrière l’établissement
est un hangar tout en longueur, parallèle à un chemin de traverse qui rejoint
la grand-route juste devant l’auberge. Tout au bout du hangar, appuyé à un
poteau, j’aperçois un mec qui surveille la route. Il est en smoking et porte un
feutre blanc. Il fume une cigarette et est justement en train de penser à rien
du tout.
J’en ai déjà vu avec cet air-là ;
c’est généralement des hommes chargés de faire le guet dans l’attente d’un coup
quelconque. Il me voit, m’examine et plonge la main dans la poche droite de son
veston, et lorsqu’on a vécu aussi longtemps que moi en Amérique, c’est un truc
qui ne passe pas inaperçu.
Je jette mon mégot et je m’avance
vers lui.
« Ça va. Mon vieux ? Je lui
fais. Vous n’auriez pas un peu de feu ? »
Je sors de ma poche deux cigarettes
et je lui en donne une. Il me regarde et je vois à ses yeux que ce gars-là est
un drogué.
Il est là, planté devant moi, souriant
de tout l’éclat de sa salle à manger démontable. Il sort un briquet et me donne
du feu. Ensuite il se détourne et reprend sa surveillance.
« Ça te plaît pas, là-dedans ? »
il fait. Je m’éponge la nuque. »
« C’est moche. Fait une chaleur
du tonnerre de Dieu. On étouffe déjà assez ici. C’est à’se demander ce qu’on vient
foutre dans un endroit pareil. Quand on pense à tout ce qu’un type pourrait
faire d’intéressant au lieu de venir traîner ses guêtres dans une pareille
boutique pour boire des cochonneries et crever de chaleur… ! » Il me
regarde.
« Si t’aime pas ça, p’tit gars, il
dit, qu’est-ce qui t’empêche de les mettre ?
– Je demande pas mieux, mais où
aller ? Je réponds. Ça n’a pas l’air de te plaire non plus ? Je
remarque. Si on allait prendre quéq’chose ? » Il remet la main dans
sa poche :
« Ecoute bien, mon p’tit, si j’ai
soif, je suis assez grand pour me payer un verre. Tu ferais bien de te barrer. J’ai
à faire. » Je secoue la cendre de ma cigarette. « Oh ! Pardon, vieux,
je dis. Je pouvais pas le savoir. T’attends quelqu’un ? »
Il me lance un regard de serpent.
« Ecoute, fillette, il me fait. T’as pas entendu quand j’t’ai dit de te
barrer ? T’es un peu trop curieux pour ton âge. Ça va t’attirer des ennuis. »
Je jette mon mégot.
« Bon, bon. Pas la peine de
prendre ça mal. Ce que j’en disais ou rien, c’est pareil.
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