J’espère aussi… un jour pourtant… nous…

Il bafouillait. Il a l’air d’un bon garçon ; il a une figure maigre, douce, de beaux yeux inquiets de lièvre. Il est curieux qu’Hélène et Colette, la mère et la fille, aient recherché pour le mariage la même nature d’homme, sensible, délicate, presque féminine, facilement dominée et, en même temps, réservée, sauvage, presque pudique. Bon Dieu ! Je n’étais pas ainsi, moi ! Je les regardais tous les sept. J’étais un peu à l’écart. Nous avions pris notre repas dans la salle, qui est la seule pièce habitable de mon logement, avec la cuisine ; je couchais dans une espèce de mansarde au grenier. Cette salle est toujours un peu sombre et par ce soir de novembre elle était si obscure que lorsque le feu retombait on ne voyait rien que ces grands chaudrons, ces antiques bassinoires pendus au mur et dont le cuivre capte les moindres lueurs. Quand les flammes se ranimaient, elles éclairaient des visages placides, des sourires bienveillants, la main d’Hélène avec son anneau d’or qui caressait les boucles du petit Loulou. Hélène portait une robe de foulard bleu à pois blancs. Le cachemire à ramages de ma mère couvrait ses épaules. À côté d’elle François était assis, et tous deux contemplaient les enfants à leurs pieds. J’ai voulu rallumer ma pipe et j’ai élevé en l’air un bout de bois enflammé qui a projeté sa lumière sur ma figure. Il faut croire que je n’étais pas seul à observer ce qui m’entourait et que Colette, elle non plus, n’a pas les yeux dans sa poche, car elle s’est écriée tout à coup :

— Que vous avez donc l’air sardonique, cousin Silvio, je l’ai souvent remarqué.

Fuis, se tournant vers son père :

— J’attends toujours le récit de vos amours, papa.

— Je vais vous raconter, dit François, ma première entrevue avec votre maman. Votre grand-père habitait alors au bourg. Comme vous le savez, il avait été marié deux fois. Voire maman était un enfant du premier mariage et sa belle-mère, de son côté, avait une fille, d’un premier mari également. Ce que vous ignorez, c’est qu’on me destinait cette jeune fille (la demi-sœur de votre mère par conséquent) comme épouse.

— C’est drôle, dit Colette.

— Oui, voyez ce que c’est que le hasard. J’entre pour la première fois dans cette maison, à la remorque de mes parents. J’allais au mariage comme un chien qu’on fouette. Mais ma mère tenait beaucoup à m’établir, la pauvre femme, et à force de supplications elle avait obtenu cette entrevue qui ne m’engageait à rien, avait-elle bien précisé. Nous entrons. Imaginez le plus sévère, le plus froid des salons de province. Il y avait sur la cheminée deux torchères de bronze qui figuraient les flambeaux de l’Amour et que je revois encore avec horreur.

— Et moi donc ! dit en riant Hélène. Ces flammes glacées et immobiles dans ce salon que l’on ne chauffait jamais avaient une valeur symbolique.

— La seconde femme de votre grand-père était, je ne vous le cacherai pas, douée d’un caractère…

— Tais-toi, dit Hélène, elle est morte.

— Heureusement… Mais votre mère a raison : paix aux morts. C’était une dame très forte et rousse, avec un gros chignon rouge et la peau très blanche. Sa fille ressemblait à un navet. Tout le temps que dura ma visite, cette malheureuse ne cessa de croiser et de décroiser sur ses genoux ses mains gonflées d’engelures et ne dit pas un mot. C’était l’hiver. On nous offrit six petits-beurre dans un compotier et des chocolats gris de vieillesse. Ma mère, qui était frileuse, éternuait sans arrêt.