Les voici arrivés.

– Bonsoir, la mère !

– Dieu te garde, mon vieux !

– L’échange est fait.

– Ah ! tu t’y entends, dit la paysanne pendant que son mari l’embrassait.

– Oui, j’ai troqué notre cheval contre une vache.

– Dieu soit loué ! dit la mère. Je pourrai désormais faire des laitages, du beurre, du fromage. Excellent échange !

– Oui, mais j’ai ensuite échangé la vache contre une brebis.

– C’est encore mieux. Nous avons juste assez de nourriture pour une brebis. Nous aurons du lait, du fromage, des bas de laine et des gilets. Une vache ne donne pas de laine. Comme tu penses à tout !

– Ensuite j’ai troqué le mouton contre une oie.

– Est-ce vrai ? Alors, nous pourrons manger de l’oie rôtie à Noël ! Tu penses à tout ce qui peut me faire plaisir, mon bon vieux. C’est bien à toi. Nous pourrons attacher notre oie dehors avec une ficelle pour qu’elle ait le temps d’engraisser.

– Oui, mais j’ai troqué mon oie contre une poule.

– Une poule ! Oh ! la bonne affaire. Elle nous donnera des œufs. Nous les ferons couver et nous aurons des poussins. J’ai toujours rêvé d’en avoir.

– Oui, oui, mais j’ai échangé la poule contre un sac de pommes pourries.

– Cette fois, il faut que je t’embrasse, dit la paysanne ravie. Je te remercie, mon cher homme. Et il faut que je te raconte tout de suite quelque chose. Après que tu as été parti ce matin, je me suis demandé ce que je pourrais te faire de bon pour ton retour. Des œufs au jambon, naturellement. J’avais des œufs mais il fallait bien aussi de la civette. J’allais donc chez le maître d’école en face. Je savais qu’il en avait. Mais sa femme est très riche, sans en avoir l’air. Je lui demandai de me prêter un peu de civette. » Prêter, me dit-elle. Il n’y a rien dans notre jardin, pas même une pomme pourrie ! » Maintenant, c’est moi qui pourrais lui en prêter, et tout un sac, même. Tu penses si j’en suis contente, mon petit père !

– Bravo ! dirent les deux anglais à la fois. La dégringolade ne lui a pas enlevé sa gaieté. Cela vaut bien l’argent.

Ils comptèrent au paysan l’or sur la table.

C’est ce qui prouve que la femme doit toujours trouver que son mari est le plus avisé de tous les hommes, et que ce qu’il fait est toujours parfait.

Voilà mon histoire. Je l’ai entendue dans mon enfance. Vous la connaissez à votre tour. Dites donc toujours que : CE QUE LE PÈRE FAIT EST BIEN FAIT.

Chapitre 10 Chacun et chaque chose à sa place.

C’était il y a plus de cent ans.

Il y avait derrière la forêt, près du grand lac, un vieux manoir entouré d’un fossé profond où croissaient des joncs et des roseaux. Tout près du pont qui conduisait à la porte cochère, il y avait un vieux saule qui penchait ses branches au-dessus du fossé.

Dans le ravin retentirent soudain le son du cor et le galop des chevaux.

La petite gardeuse d’oies se dépêcha de ranger ses oies et de laisser le pont libre à la chasse qui arrivait à toute bride. Ils allaient si vite, que la fillette dut rapidement sauter sur une des bornes du pont pour ne pas être renversée. C’était encore une enfant délicate et mince, mais avec une douce expression de visage et deux yeux clairs ravissants. Le seigneur ne vit pas cela ; dans sa course rapide, il faisait tournoyer la cravache qu’il tenait à la main. Il se donna le brutal plaisir de lui en donner en pleine poitrine un coup qui la renversa.

– Chacun à sa place ! cria-t-il.

Puis il rit de son action comme d’une chose fort amusante, et les autres rirent également.