Aussi vous en serez récompensé.
– Me mettra-t-on dans un pot ou sur un
cadre ? demanda le chardon.
– On vous mettra dans un conte », eut le
temps de répondre le rayon avant de s’éclipser.
Chapitre 4
La bergère et le ramoneur
As-tu jamais vu une très vieille armoire de
bois noircie par le temps et sculptée de fioritures et de
feuillages ? Dans un salon, il y en avait une de cette espèce,
héritée d’une aïeule, ornée de haut en bas de roses, de tulipes et
des plus étranges volutes entremêlées de têtes de cerfs aux grands
bois. Au beau milieu de l’armoire se découpait un homme entier,
tout à fait grotesque ; on ne pouvait vraiment pas dire qu’il
riait, il grimaçait ; il avait des pattes de bouc, des cornes
sur le front et une longue barbe. Les enfants de la maison
l’appelaient le
« sergentmajorgénéralcommandantenchefauxpiedsdebouc ».
Évidemment, peu de gens portent un tel titre
et il est assez long à prononcer, mais il est rare aussi d’être
sculpté sur une armoire.
Quoi qu’il en soit, il était là ! Il
regardait constamment la table placée sous la glace car sur cette
table se tenait une ravissante petite bergère en porcelaine,
portant des souliers d’or, une robe coquettement retroussée par une
rose rouge, un chapeau doré et sa houlette de bergère. Elle était
délicieuse ! Tout près d’elle, se tenait un petit ramoneur,
noir comme du charbon, lui aussi en porcelaine. Il était aussi
propre et soigné que quiconque ; il représentait un ramoneur,
voilà tout, mais le fabricant de porcelaine aurait aussi bien pu
faire de lui un prince, c’était tout comme.
Il portait tout gentiment son échelle, son
visage était rose et blanc comme celui d’une petite fille, ce qui
était une erreur, car pour la vraisemblance il aurait pu être un
peu noir aussi de visage. On l’avait posé à côté de la bergère, et
puisqu’il en était ainsi, ils s’étaient fiancés, ils se
convenaient, jeunes tous les deux, de même porcelaine et également
fragiles.
Tout près d’eux et bien plus grand, était
assis un vieux Chinois en porcelaine qui pouvait hocher de la tête.
Il disait qu’il était le grand-père de la petite bergère ; il
prétendait même avoir autorité sur elle, c’est pourquoi il
inclinait la tête vers le
« sergentmajorgénéralcommandantenchefauxpiedsdebouc » qui
avait demandé la main de la bergère.
– Tu auras là, dit le vieux Chinois, un mari
qu’on croirait presque fait de bois d’acajou, qui peut te donner un
titre ronflant, qui possède toute l’argenterie de l’armoire, sans
compter ce qu’il garde dans des cachettes mystérieuses.
– Je ne veux pas du tout aller dans la sombre
armoire, protesta la petite bergère, je me suis laissé dire qu’il y
avait là-dedans onze femmes en porcelaine !
– Eh bien ! tu seras la douzième. Cette
nuit, quand la vieille armoire se mettra à craquer, vous vous
marierez, aussi vrai que je suis Chinois. Et il s’endormit.
La petite bergère pleurait, elle regardait le
ramoneur de porcelaine, le chéri de son cœur.
– Je crois, dit-elle, que je vais te demander
de partir avec moi dans le vaste monde. Nous ne pouvons plus rester
ici.
– Je veux tout ce que tu veux,
répondit-il ; partons immédiatement, je pense que mon métier
me permettra de te nourrir.
– Je voudrais déjà que nous soyons sains et
saufs au bas de la table, dit-elle, je ne serai heureuse que quand
nous serons partis.
Il la consola de son mieux et lui montra où
elle devait poser son petit pied sur les feuillages sculptés
longeant les pieds de la table ; son échelle les aida du reste
beaucoup.
Mais quand ils furent sur le parquet et qu’ils
levèrent les yeux vers l’armoire, ils y virent une terrible
agitation. Les cerfs avançaient la tête, dressaient leurs bois et
tournaient le cou, le
« sergentmajorgénéralcommandantenchefauxpiedsdebouc »
bondit et cria :
– Ils se sauvent ! Ils se
sauvent !
Effrayés, les jeunes gens sautèrent rapidement
dans le tiroir du bas de l’armoire. Il y avait là quatre jeux de
cartes incomplets et un petit théâtre de poupées, monté tant bien
que mal. On y jouait la comédie, les dames de carreau et de cœur,
de trèfle et de pique, assises au premier rang, s’éventaient avec
leurs tulipes, les valets se tenaient debout derrière elles et
montraient qu’ils avaient une tête en haut et une en bas, comme il
sied quand on est une carte à jouer. La comédie racontait
l’histoire de deux amoureux qui ne pouvaient pas être l’un à
l’autre. La bergère en pleurait, c’était un peu sa propre
histoire.
– Je ne peux pas le supporter, dit-elle,
sortons de ce tiroir.
Mais dès qu’ils furent à nouveau sur le
parquet, levant les yeux vers la table, ils aperçurent le vieux
Chinois réveillé qui vacillait de tout son corps. Il s’effondra
comme une masse sur le parquet.
– Voilà le vieux Chinois qui arrive, cria la
petite bergère, et elle était si contrariée qu’elle tomba sur ses
jolis genoux de porcelaine.
– Une idée me vient, dit le ramoneur. Si nous
grimpions dans cette grande potiche qui est là dans le coin nous
serions couchés sur les roses et la lavande y et pourrions lui
jeter du sel dans les yeux quand il approcherait.
– Cela ne va pas, dit la petite. Je sais que
le vieux Chinois et la potiche ont été fiancés, il en reste
toujours un peu de sympathie. Non, il n’y a rien d’autre à faire
pour nous que de nous sauver dans le vaste monde.
– As-tu vraiment le courage de partir avec
moi, as-tu réfléchi combien le monde est grand, et que nous ne
pourrons jamais revenir ?
– J’y ai pensé, répondit-elle.
Alors, le ramoneur la regarda droit dans les
yeux et dit :
– Mon chemin passe par la cheminée, as-tu le
courage de grimper avec moi à travers le poêle, d’abord, le foyer,
puis le tuyau où il fait nuit noire ? Après le poêle, nous
devons passer dans la cheminée elle-même ; à partir de là, je
m’y entends, nous monterons si haut qu’ils ne pourront pas nous
atteindre, et tout en haut, il y a un trou qui ouvre sur le
monde.
Il la conduisit à la porte du poêle.
– Oh ! que c’est noir, dit-elle.
Mais elle le suivit à travers le foyer et le
tuyau noirs comme la nuit.
– Nous voici dans la cheminée, cria le garçon.
Vois, vois, là-haut brille la plus belle étoile.
Et c’était vrai, cette étoile semblait leur
indiquer le chemin. Ils grimpaient et rampaient. Quelle affreuse
route ! Mais il la soutenait et l’aidait, il lui montrait les
bons endroits où appuyer ses fins petits pieds, et ils arrivèrent
tout en haut de la cheminée, où ils s’assirent épuisés. Il y avait
de quoi.
Au-dessus d’eux, le ciel et toutes ses
étoiles, en dessous, les toits de la ville ; ils regardaient
au loin, apercevant le monde. Jamais la bergère ne l’aurait imaginé
ainsi. Elle appuya sa petite tête sur la poitrine du ramoneur et se
mit à sangloter si fort que l’or qui garnissait sa ceinture
craquait et tombait en morceaux.
– C’est trop, gémit-elle, je ne peux pas le
supporter. Le monde est trop grand. Que ne suis-je encore sur la
petite table devant la glace, je ne serai heureuse que lorsque j’y
serai retournée. Tu peux bien me ramener à la maison, si tu m’aimes
un peu.
Le ramoneur lui parla raison, lui fit souvenir
du vieux Chinois, du
« sergentmajorgénéralcommandantenchefauxpiedsdebouc »,
mais elle pleurait de plus en plus fort, elle embrassait son petit
ramoneur chéri, de sorte qu’il n’y avait rien d’autre à faire que
de lui obéir, bien qu’elle eût grand tort.
Alors ils rampèrent de nouveau avec beaucoup
de peine pour descendre à travers la cheminée, le tuyau et le
foyer ; ce n’était pas du tout agréable. Arrivés dans le poêle
sombre, ils prêtèrent l’oreille à ce qui se passait dans le salon.
Tout y était silencieux ; alors ils passèrent la tête et…
horreur ! Au milieu du parquet gisait le vieux Chinois, tombé
en voulant les poursuivre et cassé en trois morceaux ; il
n’avait plus de dos et sa tête avait roulé dans un coin. Le
sergent-major général se tenait là où il avait toujours été,
méditatif.
– C’est affreux, murmura la petite bergère, le
vieux grand-père est cassé et c’est de notre faute ; je n’y
survivrai pas. Et, de désespoir, elle tordait ses jolies petites
mains.
– On peut très bien le requinquer, affirma le
ramoneur. Il n’y a qu’à le recoller, ne sois pas si désolée.
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