Il vibrait tout entier sous la main du
Maître Suprême. Honneur à lui seul !
Chapitre 9
La princesse au petit pois
Il était une fois un prince qui voulait
épouser une princesse, mais une vraie princesse. Il fit le tour de
la terre pour en trouver une mais il y avait toujours quelque chose
qui clochait ; des princesses, il n’en manquait pas, mais
étaient-elles de vraies princesses ? C’était difficile à
apprécier, toujours une chose ou l’autre ne lui semblait pas
parfaite.
Il rentra chez lui tout triste, il aurait tant
voulu avoir une véritable princesse. Un soir par un temps affreux,
éclairs et tonnerre, cascades de pluie que c’en était effrayant, on
frappa à la porte de la ville et le vieux roi lui-même alla ouvrir.
C’était une princesse qui était là, dehors. Mais grands
dieux ! de quoi avait-elle l’air dans cette pluie, par ce
temps ! L’eau coulait de ses cheveux et de ses vêtements,
entrait par la pointe de ses chaussures et ressortait par le talon
… et elle prétendait être une véritable princesse ! – Nous
allons bien voir çà, pensait la vieille reine, mais elle ne dit
rien.
Elle alla dans la chambre à coucher, retira
toute la literie et mit un petit pois au fond du lit ; elle
prit ensuite vingt matelas qu’elle empila sur le petit pois et,
par-dessus, elle mit encore vingt édredons en plumes d’eider. C’est
là-dessus que la princesse devait coucher cette nuit-là.
Au matin, on lui demanda comment elle avait
dormi. – Affreusement mal, répondit-elle, je n’ai presque pas fermé
l’œil de la nuit. Dieu sait ce qu’il y avait dans ce lit. J’étais
couché sur quelque chose de si dur que j’en ai des bleus et des
noirs sur tout le corps ! C’est terrible !
Alors ils reconnurent que c’était une vraie
princesse puisque, à travers les vingt matelas et les vingt
édredons en plumes d’eider, elle avait senti le petit pois. Une
peau aussi sensible ne pouvait être que celle d’une authentique
princesse.
Le prince la prit donc pour femme, sûr
maintenant d’avoir une vraie princesse et le petit pois fut exposé
dans le cabinet des trésors d’art, où on peut encore le voir si
personne ne l’a emporté. Et ceci est une vraie histoire.
Chapitre 10
La princesse et le porcher
Il y avait une fois un prince pauvre. Son
royaume était tout petit mais tout de même assez grand pour s’y
marier et justement il avait le plus grand désir de se marier.
Il y avait peut-être un peu de hardiesse à
demander à la fille de l’empereur voisin : « Veux-tu de
moi ? » Il l’osa cependant car son nom était
honorablement connu, même au loin, et cent princesses auraient
accepté en remerciant, mais allez donc comprendre celle-ci …
Écoutez, plutôt :
Sur la tombe du père du prince poussait un
rosier, un rosier miraculeux. Il ne donnait qu’une unique fleur
tous les cinq ans, mais c’était une rose d’un parfum si doux qu’à
la respirer on oubliait tous ses chagrins et ses soucis. Le prince
avait aussi un rossignol qui chantait comme si toutes les plus
belles mélodies du monde étaient enfermées dans son petit gosier.
Cette rose et ce rossignol, il les destinait à la princesse, tous
deux furent donc placés dans deux grands écrins d’argent et envoyés
chez elle.
L’empereur les fit apporter devant lui dans le
grand salon où la princesse jouait « à la visite » avec
ses dames d’honneur – elles n’avaient du reste pas d’autre
occupation – et lorsqu’elle vit les grandes boîtes contenant les
cadeaux, elle applaudit de plaisir.
– Si seulement c’était un petit minet,
dit-elle. Mais c’est la merveilleuse rose qui parut.
– Comment elle est joliment faite !
s’écrièrent toutes les dames d’honneur.
– Elle est plus jolie, surenchérit l’empereur,
elle est la beauté même.
Cependant la princesse la toucha du doigt et
fut sur le point de pleurer.
– Oh ! papa, cria-t-elle, quelle horreur,
elle n’est pas artificielle, c’est une vraie !
– Fi donc ! s’exclamèrent toutes ces
dames, c’est une vraie !
– Avant de nous fâcher, regardons ce qu’il y a
dans la deuxième boîte, opina l’empereur.
Alors le rossignol apparut et il se mit à
chanter si divinement que tout d’abord on ne trouva pas de critique
à lui faire.
– Superbe ! charmant ! * s’écrièrent
toutes les dames de la cour, car elles parlaient toutes français,
l’une plus mal que l’autre du reste.
– Comme cet oiseau me rappelle la boîte à
musique de notre défunte impératrice ! dit un vieux
gentilhomme. Mais oui, c’est tout à fait la même manière, la même
diction musicale !
– Eh oui ! dit l’empereur. Et il se mit à
pleurer comme un enfant.
– Mais au moins j’espère que ce n’est pas un
vrai, dit la princesse.
– Mais si, c’est un véritable oiseau,
affirmèrent ceux qui l’avaient apporté.
– Ah ! alors qu’il s’envole, commanda la
princesse. Et elle ne voulut pour rien au monde recevoir le
prince.
Mais lui ne se laissa pas décourager, il se
barbouilla le visage de brun et de noir, enfonça sa casquette sur
sa tête et alla frapper là-bas.
– Bonjour, empereur ! dit-il, ne
pourrais-je pas trouver du travail au château ?
– Euh ! il y en a tant qui demandent,
répondit l’empereur, mais, écoutez … je cherche un valet pour
garder les cochons car nous en avons beaucoup.
Et voilà le prince engagé comme porcher
impérial. On lui donna une mauvaise petite chambre à côté de la
porcherie et c’est là qu’il devait se tenir. Cependant, il s’assit
et travailla toute la journée, et le soir il avait fabriqué une
jolie petite marmite garnie de clochettes tout autour. Quand la
marmite se mettait à bouillir, les clochettes tintaient et
jouaient :
Ach, du lieber Augustin,
Alles ist hin, hin, hin.
Mais le plus ingénieux était sans doute que si
l’on mettait le doigt dans la vapeur de la marmite, on sentait
immédiatement quel plat on faisait cuire dans chaque cheminée de la
ville. Ça, c’était autre chose qu’une rose. Au cours de sa
promenade avec ses dames d’honneur la princesse vint à passer
devant la porcherie, et lorsqu’elle entendit la mélodie, elle
s’arrêta toute contente car elle aussi savait jouer Ach, du
lieber Augustin, c’était même le seul air qu’elle sût et elle
le jouait d’un doigt seulement.
– C’est l’air que je sais, dit-elle, ce doit
être un porcher bien doué. Entrez et demandez-lui ce que coûte son
instrument.
Une des dames de la cour fut obligée d’y aller
mais elle mit des sabots.
– Combien veux-tu pour cette marmite ?
demanda-t-elle.
– Je veux dix baisers de la
princesse !
– Grands dieux ! s’écria la dame.
– C’est comme ça et pas moins ! insista
le porcher.
– Eh bien ! qu’est-ce qu’il dit ?
demanda la princesse.
– Je ne peux vraiment pas le dire, c’est trop
affreux.
– Alors, dis-le tout bas.
La dame d’honneur le murmura à l’oreille de la
princesse.
– Mais il est insolent, dit celle-ci, et elle
s’en fut immédiatement.
Dès qu’elle eut fait un petit bout de chemin,
les clochettes se mirent à tinter.
– Écoute, dit la princesse, va lui demander
s’il veut dix baisers de mes dames d’honneur.
– Oh ! que non, répondit le porcher. Dix
baisers de la princesse ou je garde la marmite.
– Que c’est ennuyeux ! dit la princesse.
Alors il faut que vous teniez toutes autour de moi afin que
personne ne puisse me voir.
Les dames d’honneur l’entourèrent en étalant
leurs jupes, le garçon eut dix baisers et elle emporta la marmite.
Comme on s’amusa au château ! Toute la soirée et toute la
journée la marmite cuisait, il n’y avait pas une cheminée de la
ville dont on ne sût ce qu’on y préparait tant chez le chambellan
que chez le cordonnier. Les dames d’honneur dansaient et battaient
des mains.
– Nous savons ceux qui auront du potage sucré
ou bien des crêpes, ou bien encore de la bouillie ou des
côtelettes, comme c’est intéressant !
– Supérieurement intéressant ! dit la
Grande Maîtresse de la Cour.
– Oui, mais pas un mot à personne, car je suis
la fille de l’empereur.
– Dieu nous en garde ! firent-elles
toutes ensemble.
Le porcher, c’est-à-dire le prince, mais
personne ne se doutait qu’il pût être autre chose qu’un véritable
porcher, ne laissa pas passer la journée suivante sans travailler,
il confectionna une crécelle. Lorsqu’on la faisait tourner,
résonnaient en grinçant toutes les valses, les galops et les polkas
connus depuis la création du monde.
– Mais c’est superbe, dit la princesse
lorsqu’elle passa devant la porcherie. Je n’ai jamais entendu plus
merveilleuse improvisation ! Écoutez, allez lui demander ce
que coûte cet instrument – mais je n’embrasse plus !
– Il veut cent baisers de la princesse,
affirma la dame d’honneur qui était allée s’enquérir.
– Je pense qu’il est fou, dit la
princesse.
Et elle s’en fut. Mais après avoir fait un
petit bout de chemin, elle s’arrêta.
– Il faut encourager les arts, dit-elle. Je
suis la de l’empereur.
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