Il leva les yeux, tourna la tête, remarqua, avec une surprise intéressée, les branches noires de l’arbre mort, et essaya d’estimer la longueur de la corde abîmée par les intempéries qui se balançait à son bras spectral. L’aboi monotone des coyotes dans le lointain lui donnait l’impression d’une chose entendue en rêve plusieurs années auparavant. Un hibou agita gauchement ses ailes silencieuses au-dessus de lui, et il essaya de prévoir la direction de son vol quand il aurait rencontré la colline dont la crête baignée de lumière se dressait à un mile de là. Son oreille enregistra le pas furtif d’un saccophore11
à l’ombre des cactus. Il observait chaque chose intensément ; tous ses sens étaient aux aguets ; mais il ne voyait pas le cercueil. Si nous regardons fixement le soleil, il finit par nous paraître noir, puis s’évanouit ; ainsi son esprit, ayant épuisé toutes ses capacités de crainte, n’avait plus conscience de l’existence indépendante d’un objet redoutable. L’assassin dissimulait son épée.
Pendant cette accalmie dans la lutte, il perçut une légère odeur écœurante. Il crut d’abord qu’elle émanait d’un serpent à sonnette, et il essaya involontairement de regarder à ses pieds. Ils étaient presque invisibles dans les ténèbres de la fosse. Un gargouillement rauque, semblable à un râle d’agonie, parut venir du ciel ; un instant plus tard, une grande ombre noire et anguleuse (on eût dit ce même bruit rendu visible) s’élança de la plus haute branche de l’arbre fantomatique en décrivant une courbe vers la terre, battit des ailes un moment devant son visage, puis, d’un vol farouche et sûr, disparut dans le brouillard qui longeait la rivière. C’était un corbeau. Cet incident lui rendit le sentiment de la situation ; de nouveau, il chercha du regard le cercueil vertical que la lune éclairait maintenant sur la moitié de sa longueur. Il vit la lueur de la plaque métallique et essaya, sans bouger de place, de déchiffrer l’inscription. Ensuite il se mit à spéculer sur ce que dissimulait le couvercle. Son imagination lui présenta un spectacle d’une extraordinaire netteté. Il lui sembla que les planches n’étaient plus un obstacle à sa vision ; il vit le corps livide de la morte, debout dans son linceul, fixant sur lui le regard vide de ses yeux caves sans paupières. La mâchoire inférieure pendait, la lèvre supérieure retroussée laissait les dents à nu. Il pouvait distinguer des marbrures sur les joues creuses : les taches de la pourriture. Par un processus mystérieux, son esprit se reporta pour la première fois de la journée à la photographie de Mary Matthews. Il mit en contraste sa beauté blonde avec l’aspect repoussant de ce visage mort : l’objet le plus adorable qu’il connût avec le plus hideux qu’il pût concevoir.
Et maintenant l’assassin s’avança, et, laissant voir sa lame, la posa sur la gorge de sa victime. C’est-à-dire que l’homme se rendit compte, d’abord vaguement, puis avec netteté, d’une coïncidence impressionnante, d’un rapport, d’un parallèle, entre le visage de la photographie et le nom inscrit sur la stèle. Le premier était défiguré, le second évoquait un visage défiguré. Cette idée s’empara de lui et le bouleversa. Elle transforma le visage créé par son imagination derrière le couvercle du cercueil ; le contraste devint une ressemblance, la ressemblance, une identité. Se rappelant les nombreuses descriptions de la personne de Scarry qu’il avait entendues de la bouche des bavards, autour de son feu de campement, il essaya, sans y réussir tout à fait, de se remémorer la nature exacte de la cicatrice qui avait valu à cette femme son vilain surnom ; l’imagination suppléait aux défaillances de sa mémoire et donnait à ses hypothèses la valeur d’une certitude. Dans sa tentative exaspérante pour évoquer les fragments de l’histoire de la morte, telle qu’il l’avait entendu raconter, les muscles de ses bras et de ses mains se tendaient jusqu’à lui faire mal, comme s’il eût fait un effort pour soulever un grand poids. Son corps se tordait convulsivement. Les tendons de son cou saillaient, raides comme une corde à fouet ; sa respiration était brusque et saccadée. Le dénouement ne pouvait plus être retardé, sans quoi l’angoisse de l’attente ne laisserait plus rien à faire au coup de grâce de la vérification : le visage balafré derrière le couvercle du cercueil tuerait l’homme à travers le bois.
Un mouvement de la bière le calma. Elle vint jusqu’à un pied de son visage, grandissant visiblement à mesure qu’elle approchait.
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