La plaque de métal rouillée, avec son inscription illisible au clair de lune, semblait le regarder fixement dans les yeux. Résolu à ne pas reculer, il essaya d’appuyer ses épaules plus solidement contre la paroi de l’excavation et faillit tomber à la renverse car il n’y avait rien pour le soutenir : il s’était avancé vers son ennemi, serrant dans sa main le lourd couteau qu’il avait tiré de sa ceinture. Le cercueil n’avait pas bougé, et l’homme sourit en pensant qu’il ne pouvait pas reculer. Ayant levé le bras, il frappa la plaque métallique de toutes ses forces avec la poignée de son arme. Il y eut un choc violent, retentissant ; puis, avec un bruit sourd, le couvercle tout entier tomba en morceaux à ses pieds. Le vivant et la morte étaient face à face : l’homme frénétique et hurlant, la femme debout dans un silence tranquille. C’était une sacrée garce !
5
Quelques mois plus tard, un groupe d’hommes et de femmes appartenant à la haute société de San Francisco passa par Hurdy-Gurdy en se rendant à Yosemite Valley par une piste nouvelle. Ils s’y arrêtèrent pour déjeuner et, pendant que le repas se préparait, ils explorèrent le camp abandonné. L’un d’eux avait connu Hurdy-Gurdy au temps de sa splendeur. À vrai dire, il avait été un de ses citoyens les plus éminents : on prétendait qu’il passait plus d’argent sur sa table de faro en une seule nuit, prise au hasard, que sur les tables de tous ses concurrents en une semaine. Mais, comme il était maintenant millionnaire et engagé dans de plus grandes entreprises, il ne jugeait pas ces premiers succès suffisamment importants pour mériter d’être mentionnés. Sa femme, de santé chancelante, célèbre à San Francisco par ses réceptions coûteuses et sa rigueur exigeante en ce qui concernait la position sociale et les antécédents de ses invités, accompagnait l’expédition. En se promenant parmi les cabanes désertes du camp abandonné, M. Porfer attira l’attention de sa femme et de ses amis sur un arbre mort au sommet d’une colline basse située de l’autre côté d’Injun Creek.
— Comme je vous l’ai raconté, dit-il, je suis passé par ce camp en 18… et on m’a dit que les “vigilantes”12
avaient pendu cinq hommes à cet arbre en différentes occasions. Si je ne m’abuse, il y a encore une corde qui se balance. Passons la rivière et allons voir ça.
M. Porfer n’ajouta pas que la corde en question était peut-être exactement la même à l’étreinte fatale de laquelle son cou avait échappé de justesse, à tel point qu’une heure de retard dans sa fuite n’eût pas manqué de lui être funeste.
Ils descendirent le long de la rivière sans se presser, jusqu’à ce qu’ils arrivassent à un gué commode. Ils rencontrèrent bientôt le squelette bien nettoyé d’un animal, que M. Porfer, après l’avoir examiné de près, déclara être celui d’un âne. Les oreilles caractéristiques avaient disparu, mais les oiseaux et les bêtes avaient épargné la plus grande partie de la tête immangeable ; la forte bride en crin de cheval était intacte, ainsi que la “riata”13
, faite de la même substance, qui reliait la bride à un pieu encore solidement enfoncé dans le sol. Tout près gisaient les différentes parties, en bois et en métal, d’un équipement de mineur. Cette découverte provoqua les remarques habituelles, cyniques du côté des messieurs, sentimentales et délicates dans la bouche de la dame. Quelques instants plus tard, ils se tenaient près de l’arbre, dans le cimetière, et M. Porfer se départit de sa dignité jusqu’à se placer sous la corde pourrie dont il se passa un anneau autour du cou : ce geste parut lui apporter une grande satisfaction, mais il emplit d’horreur sa trop sensible épouse.
Une exclamation de l’un d’eux les fit s’attrouper autour d’une tombe ouverte, au fond de laquelle ils virent un amas confus d’ossements humains au milieu des fragments d’un cercueil brisé. Les loups et les busards avaient accompli les derniers rites pour presque tout le reste. On distinguait deux crânes, et, afin d’examiner de près cette surabondance quelque peu inusitée, l’un des jeunes gens fut assez intrépide pour sauter dans la fosse et les passer à l’un de ses camarades avant que Mme Porfer eût pu manifester sa désapprobation formelle d’un acte aussi scandaleux ; ce qu’elle fit, toutefois, avec beaucoup d’émotion, en termes particulièrement choisis. Poursuivant ses recherches parmi les lugubres débris, le jeune homme tendit ensuite une plaque de cercueil toute rouillée, portant une inscription gravée grossièrement. Après avoir déchiffré celle-ci non sans difficulté, M. Porfer la lut à voix haute en essayant avec ardeur et un certain succès de produire l’effet dramatique qui, à son estime, convenait à la circonstance et à ses talents oratoires :
Manuelita Murphy
Née à la Mission San Pedro
Morte à Hurdy-Gurdy à l’âge de 47 ans.
L’Enfer est plein de ses pareilles.
Par égard pour la piété du lecteur et pour les nerfs des gens des deux sexes appartenant à la même communauté délicate que Mme Porfer, nous n’insisterons pas sur la douloureuse impression produite par cette épitaphe peu commune : nous nous contenterons de dire que jamais la puissance d’élocution de M. Porfer n’avait suscité un intérêt aussi spontané et aussi intense.
Le vampire dans la tombe fut ensuite récompensé de ses efforts par une longue touffe de cheveux emmêlés, souillés d’argile ; néanmoins, c’était, par comparaison, une trouvaille si dénuée d’intérêt qu’il la jeta aussitôt. Mais, soudain, après avoir poussé une exclamation brève, il déterra un fragment de roche grisâtre, et, au terme d’un rapide examen, le tendit à M. Porfer. Le soleil donna dessus et le fit luire d’un éclat jaune : il était tout criblé de points brillants. M. Porfer s’en saisit brusquement, courba la tête pour l’étudier, puis le laissa tomber avec insouciance en disant simplement :
— Pyrites de fer : l’or des imbéciles.
Le jeune homme dans la tranchée de fouille eut l’air un peu déconcerté.
Cependant, Mme Porfer, incapable de supporter plus longtemps ces recherches désagréables, était revenue jusqu’à l’arbre au pied duquel elle s’était assise. Tandis qu’elle arrangeait une tresse dénouée de ses cheveux dorés, son attention fut attirée par ce qui semblait être, et était réellement, le reste d’un vieux veston. Elle regarda autour d’elle pour s’assurer que nul n’observait un geste aussi peu distingué, glissa sa main ornée de bagues dans la poche à découvert, et en retira un portefeuille moisi qui contenait ce qui suit :
Un paquet de lettres portant le cachet de la poste.
Une boucle de cheveux blonds nouée d’un ruban.
Une photographie d’une belle jeune fille.
Une autre photographie de la même, étrangement défigurée.
Un nom au dos de la photographie : Jefferson Doman.
Quelques instants plus tard, un groupe d’hommes anxieux entourait Mme Porfer, assise immobile au pied de l’arbre, la tête penchée en avant, étreignant dans ses doigts une photographie froissée.
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