Ceci ayant provoqué une nouvelle dérision, le prisonnier refusa d’en dire plus, et se borna à donner un nom manifestement faux. Quand on le fouilla au commissariat, on ne trouva rien sur lui à l’exception d’une miniature représentant Mme Barwell – qui habitait la maison où il avait été pris. Le cadre était orné de diamants coûteux, et la qualité du linge du prisonnier emplit d’un regret superflu l’incorruptible cœur de l’agent n° 13. Rien dans sa personne ni dans ses vêtements ne permit de l’identifier. Il fut incarcéré pour cambriolage sous le nom qu’il avait donné : l’honorable nom de John K. Smith. (Je ne doute pas que ce K. ait été une inspiration dont il tira la plus grande fierté.) 

Pendant ce temps, la disparition de John Hardshaw suscitait de fiévreux commérages à Rincon Hill. Elle fut même mentionnée sur un journal. La femme à qui cette gazette attribuait discrètement la qualité de « veuve » n’eut pas l’idée d’aller chercher son mari à la prison municipale de Sacramento, car tout le monde ignorait qu’il eût jamais visité cette ville. Il fut mis en accusation sous le nom de John K. Smith, et envoyé aux assises.

Deux semaines avant le procès, Mme Hardshaw apprit par hasard que son époux, inculpé de cambriolage, se trouvait incarcéré sous un nom d’emprunt à Sacramento. Elle gagna cette ville en toute hâte, sans oser souffler mot de sa découverte à personne, et demanda à parler à son mari, John K. Smith. Hagarde, malade d’anxiété, enveloppée du cou aux chevilles dans un grand châle qui l’avait protégée du froid au cours de son voyage de nuit en bateau, elle ne payait certes pas de mine ; mais son comportement plaida en sa faveur bien plus que tout ce qu’elle put dire pour justifier sa supplique. On lui accorda un tête-à-tête avec le prisonnier.

Nul n’a jamais su ce qui s’était passé au cours de cette douloureuse entrevue ; mais la suite des événements prouve que Hardshaw dut trouver un moyen de soumettre la volonté de sa femme à la sienne. Elle quitta la prison, le cœur brisé, et refusa de répondre à toutes les questions. Puis, après avoir regagné sa demeure solitaire, elle reprit très mollement ses recherches au sujet de son mari disparu. Une semaine plus tard, elle-même n’était plus à son domicile : au dire des gens, elle « avait regagné les États » – nul n’en savait davantage.

À son procès, le prisonnier plaida coupable « sur le conseil de son avocat » (s’il faut en croire ce dernier). Néanmoins, le juge, dans l’esprit duquel plusieurs détails insolites avaient suscité un doute, insista pour que le district attorney fît comparaître l’agent n° 13 devant le tribunal. De plus, on lut au jury la déposition de Mme Barwell, trop souffrante pour pouvoir se présenter en personne. Ce document était très bref : Mme Barwell ignorait tout de l’affaire, sinon que la miniature lui appartenait et qu’elle avait dû la laisser sur la table du salon avant d’aller se coucher, la nuit de l’arrestation. Elle s’était proposé d’en faire cadeau à son mari qui se trouvait alors en Europe (d’où il n’était pas encore rentré) pour le compte d’une compagnie minière.

Le district attorney déclara par la suite que Mme Barwell avait eu un comportement extraordinaire en faisant sa déposition à son domicile. À deux reprises, elle avait refusé de témoigner, et, une fois, alors qu’il ne manquait plus que sa signature, elle avait arraché le document des mains du greffier pour le déchirer en morceaux. Elle avait appelé ses enfants à son chevet et les avait embrassés passionnément, les yeux ruisselants de larmes. Puis, après les avoir renvoyés, soudain, elle avait signé sa déclaration et s’était évanouie. À ce moment précis, son médecin était arrivé sur les lieux. Ayant compris la situation d’un seul coup d’œil, il avait saisi par le collet le représentant de la loi pour le jeter ensuite dans la rue où il envoya le greffier le rejoindre d’un magistral coup de pied. Cette insulte à la majesté de la justice demeura impunie : le district attorney n’en fit même pas mention devant le tribunal. Il désirait gagner la partie, et les circonstances dans lesquelles il avait obtenu cette déposition n’étaient pas de nature à lui donner beaucoup de poids s’il les relatait ; de plus, l’accusé avait offensé la majesté de la justice d’une façon à peine moins odieuse que l’irascible médecin.

Sur la suggestion du juge, le jury rendit un verdict de culpabilité, car il n’y avait rien d’autre à faire, et le prisonnier fut condamné à trois ans de travaux forcés.