le soleil rayonnant sur la mer3.
Je t’embrasse mille fois de tout mon cœur
Ton fils
Marcel.
P.-S. – Tu serais bien gentil d’écrire à Maman si tu as vu ce Kopff4 depuis ton séjour chez les Brouardel, pour ce qui regarde mon examen d’officier.

1- Lettre publiée dans Mère (52-54) ; Kolb (I, 238-239).
2- Cette lettre est contemporaine de l’obtention par Marcel Proust de sa licence en droit.
3- Les Fleurs du Mal, « Chant d’automne », II.
4- Médecin major de l’état-major du gouvernement militaire de Paris.
à Charles Grandjean
Ce dimanche [12 ? novembre 1893]1
Cher Monsieur
Si je ne vous ai pas immédiatement remercié, c’est que je devais aller aujourd’hui déjeuner à Louveciennes chez vos voisins Beer et sans vous prévenir pour que vous ne restiez pas chez vous à cause de moi je comptais aller vous voir, vous dire ma reconnaissance – et vous ennuyer encore. Mais je me suis trouvé empêché d’aller à Louveciennes. À Paris je vais de temps en temps rue de Monceau. Mais on me dit toujours que vous ne revenez pas – et je suis bien triste de savoir que c’est un peu parce que vous n’êtes pas bien.
Vous me donnez contre l’École des Chartes des arguments terribles c’est-à-dire excellents. Mais songez que je mettrai certainement deux ans à préparer la Cour des Comptes, que j’y échouerai sans doute une fois. Et que si même j’y arrive, ce sera quand j’aurais presque fini l’École des Chartes. Du moins je n’aurais plus à faire que la thèse qui est un travail personnel. Pour ce qui est de l’École de Rome, vous m’aviez dit que je pourrais y aller dans tous les cas sans traitement. Mais ce que vous me dites de Rome sans l’École de Rome est en effet plus séduisant.
Et maintenant avant de nous arrêter à cette sinistre Cour des Comptes, que diriez-vous de ceci ? Que j’aille trouver un directeur au Louvre (je ne crois connaître que M. Heuzey) ou que je me fasse mettre en rapport avec M. Reinach (Saint-Germain) ou M. Saglio (Cluny) ou M...2 (Versailles). Que je leur demande de m’attacher à leur musée comme bénévole. Pendant ce temps je pourrais, si je vois que je m’y plais, préparer à votre choix l’École des Chartes, la licence ès lettres, l’École du Louvre ou simplement des travaux personnels – de façon à en faire une carrière pour l’avenir, et en attendant le cadre noble et discret d’une existence que je tâcherais d’inspirer et d’élever par l’étude des belles choses qui l’entoureront. Versailles et Saint-Germain me sembleraient, au point de vue de la réflexion et de la composition, plus convenables, mais peut-être le Louvre ou Cluny sont-ils plus intéressants et de plus d’avenir (pour les conservateurs) c’est-à-dire je suppose de plus de passé, en eux-mêmes.
Mais hélas, votre esprit si merveilleusement critique va-t-il crever ce nouveau ballon – ou plutôt je m’en réjouirais, car vous dissipez pour moi les mirages qui sont la plus dangereuse chose et m’épargnez ainsi de cruelles déceptions. Comme tôt ou tard il ne suffit plus de rêver sa vie mais qu’il faut la vivre, j’aurais de grands mécomptes – le plus grand de tous celui d’avoir manqué sa vie – si votre expérience et votre intuition n’avertissaient ma bonne volonté trop imaginative et trop mal instruite.
Mettez-moi aux pieds de Madame Grandjean.
Mille respects reconnaissants

1- Lettre publiée dans Bulletin (6, 147-148) ; Kolb (I, 252-254). Cette lettre appartient, comme la suivante, à une série d’une dizaine écrites par Proust dans les derniers mois de 1893 et en 1894 à l’érudit Charles Grandjean, chartiste et membre de l’École française de Rome, bibliothécaire au Sénat, pour lui demander des conseils de carrière.
2- Peut-être Pierre de Nolhac.
à Charles Grandjean
Ce dimanche [19 ? novembre 1893]1
Cher Monsieur
Mes parents me laissent libre mais trouvent mon plan bien peu celui d’une carrière, me demandent des choses précises, si réellement on peut être attaché à un musée, si réellement le doctorat donne droit à l’École de Rome et l’École de Rome à une place payée dans un musée, car l’Inspection des Beaux-Arts n’est qu’une chance et tout en la courant ils voudraient me voir quelque chose de certain. L’École du Louvre donne-t-elle les mêmes droits que le doctorat et quelle voie (licence et doctorat ou École du Louvre) serait la meilleure. Enfin a-t-on autant de temps pour écrire dans un musée qu’à la Cour des Comptes ; voici bien des questions que la confiance en votre gentillesse et patience à m’écouter m’empêchent d’éprouver quelque embarras à vous poser. Et si je n’avais craint de vous déranger j’aurais été le faire de vive voix.
Maintenant pour tous ces renseignements précis voulez-vous que je les fasse demander à M. Poincaré2 ce qui me serait facile. Si au contraire vous avez l’occasion de voir M. Roujon ou M. Benoit voulez-vous le demander vous-même ? C’est ce qui vous paraîtra le mieux que nous ferons. Mais pour la question de temps plus ou moins pris, je crois que personne ne le doit pouvoir dire aussi bien qu’une personne du musée.
Pour ce qui est de Madame Lemaire puisque
votre bonté s’étend sur toute la nature3
de mes occupations, elle m’écrit qu’elle n’a pas le temps de commencer ses dessins4 avant son retour à Paris, qu’elle les fera faciles à reproduire par un procédé peu coûteux (ce que je ne lui demandais pas et ce qui témoigne de la simplicité exquise de cette femme qui ne pense qu’aux autres et n’a pas le plus léger amour-propre d’artiste), qu’elle n’a pas d’éditeur, que seul M. Boussod a reproduit des illustrations d’elle mais que ce n’est pas un éditeur et que je fasse donc comme je veux. Que dois-je vouloir ?
J’espère que Madame Grandjean n’a plus la migraine et que vous voulez bien continuer à agréer mes respectueux sentiments reconnaissants
Votre tout dévoué
Marcel Proust.

1- Lettre publiée dans Bulletin (6, 150-151) ; Kolb (I, 258-260).
2- Raymond Poincaré était alors ministre de l’Instruction publique, des Cultes et des Beaux-Arts.
3- Racine, Athalie, II, 7 (le vers exact est : « Et sa bonté [celle de Dieu] s’étend sur toute la nature »).
4- Il s’agit des dessins devant servir à illustrer la première édition des Plaisirs et les Jours de Proust, que Madeleine Lemaire livrera avec un retard considérable.
à Reynaldo Hahn
Ce dimanche matin [16 septembre 1894]1
Trouville Roches Noires2, Calvados
My little Master
Votre petit mot daté vendredi soir arrive seulement ce matin alors qu’une lettre mise le soir arrive le matin. – ? – Il fait un temps charmant, des clairs de lune dont vous lirez une interprétation selon vous3. Madame Straus à qui j’ai parlé de vos « jolies qualités » et mieux sera ravie de vous recevoir. Donc sans vouloir prendre sur moi un tel voyage je crois que si vous devez venir deux jours à la mer, le meilleur moment serait maintenant – et à Trouville. Si vous ne pouvez pas – comme Maman partira bientôt vous pourriez venir après son départ pour me consoler. Mais dites-le car dans ce cas je resterai à l’hôtel après le départ de Maman pensant que vous habiterez probablement le même puisque c’est le meilleur. Si vous ne veniez pas ou veniez plus tôt, j’habiterais après le départ de Maman chez les Straus ou plutôt à Étretat chez un ami. Pourquoi « Marcel le poney4 » ? Je n’aime pas cette nouvelle chose ? Cela ressemble à Jack l’Éventreur et à Louis le Hutin. N’oubliez pas que ce n’est pas un surnom et que je suis, Reynaldo, en toute vérité
Votre poney
Marcel.
Avez-vous vu M. Carvalho. Je vous trouve sévère pour Lohengrin5. Le rôle du héraut et du roi tout entier, le rêve d’Elsa, l’arrivée du Cygne, le chœur du juste, la scène entre les deux femmes, le refalado, le Graal, le départ, le présent du cor, de l’épée et de l’anneau, le prélude, est-ce que tout cela n’est pas beau ?

1- Lettre publiée dans Hahn (24-25) ; Kolb (I, 326-327).
2- La lettre est située à l’Hôtel des Roches Noires de Trouville.
3- Allusion probable aux deux textes de Proust qui paraîtront dans Les Plaisirs et les Jours sous le titre « Sonate au clair de lune » et « Comme à la lumière de la lune ».
4- Le terme « poney » sera retenu par Marcel Proust pour désigner dans une relation masculine, et notamment celle que lui-même entretient avec Reynaldo, la figure de l’ami tendre.
5- Opéra de Richard Wagner.
à Reynaldo Hahn
[Mi-novembre 1895]1
Dîner hier chez les Daudet avec mon petit genstil, M. de Goncourt, Coppée, M. Philipe, M. Vacquer2.
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