Et de Paris je pourrais tous les jours aller à Versailles travailler.

2° P.-S. Léon Daudet voudrait que nous allions habiter à Marlotte hôtel meilleur marché, connaissant un asthmatique qui s’y trouve bien. Mais, je crois que c’est bien moins près de Paris, moins de trains etc. qu’en dis-tu ? Seulement je n’aurais plus Jean Lazard je crois... Demande donc à papa quelque chose contre mon rire nerveux. J’ai si peur de fâcher Léon Daudet.

3° P.-S. Non pas de trional7.

4° P.-S. Brissaud qui connaît si bien ce pays nous eût comparé Nemours, Marlotte, etc., etc.

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1- Lettre publiée dans Mère (87-91) ; Kolb (II, 137-140).

2- Fontainebleau.

3- Comme l’a indiqué Pierre Clarac, le récit en question correspond à l’épisode « [La voix de la mère de Jean au téléphone] » dans Jean Santeuil (Jean Santeuil, 1026, note 4 appelée p. 358). Voir aussi la parenté entre la description, dans la présente lettre, des « nombreux ciels de lit, rideaux, etc. (impossibles à enlever parce qu’ils tiennent au mur) » et le passage suivant, dans le manuscrit du roman : « Mais alors ses yeux rencontrèrent le lit qu’ils n’avaient pas encore vu, un lit énorme qui étouffait sous un ciel de lit rabattu de tous côtés (on ne pourrait pas les enlever, ils tenaient au mur et au plafond), et qui soutenait sur son édredon rose une odeur de renfermé » (Jean Santeuil, 358).

4- Jean Lazard, fils de Simon, fondateur de la banque du même nom.

5- Mme Renvoyzé, hôtesse de Marcel Proust lorsqu’il se trouvait à Orléans pendant son service militaire.

6- Hôtel Fermont, où Marcel Proust et Reynaldo Hahn logèrent en 1895, durant leur séjour de vacances à Beg-Meil.

7- Réponse à une lettre de sa mère, datant du 20 octobre 1896, demandant à Marcel Proust s’il a pu « rompre tout pacte avec l’impie trional » (Kolb, II, 136).

à madame Adrien Proust

Splendide Hôtel & Grand Hôtel des Bains
 Évian-les-Bains
 Mardi [12 septembre 1899]1 deux heures

Ma chère petite Maman

 

Je viens de payer dix francs cinquante d’Union morale2 qui a envoyé ici sans enveloppe (pas sous enveloppe – sans enveloppe) une traite comme si j’étais un malfaiteur. Tu serais bien gentille d’écrire un mot à cette Revue pour lui dire que je ne m’abonne plus. Sans cela il n’y a pas de raison pour que cela finisse. [(]À moins que cela n’ait l’air d’être pour l’affaire où ils ont été très bien et à cause de l’arrêt3, enfin vois.) – .

Hier la rencontre successive du Dr Cottet, de M. de Polignac, puis de Mme de Polignac a été cause (parce que Mme de Polignac était perdue sur la route etc.) que j’ai marché énormément. Et tout en allant merveilleusement et sans oppression j’ai si peu dormi que, ayant peu dormi la veille et ayant eu à cause de cela un fou rire qui m’a beaucoup ennuyé devant la Princesse Brancovan, j’ai pris ce matin pour ne pas trop refumer etc., un peu de trional qui a été suivi d’un sommeil réparateur et m’a très bien réussi, ce qui n’arrive pas toujours. Ai-je besoin de te dire que c’est une exception et que « nous ne retombons pas dans les médicaments ». D’ailleurs tu sais bien qu’il y avait douze jours que je n’en avais pris. Et ce matin le roulage de l’omnibus à six heures et demie est aussi une chose exceptionnelle. Je ne suis pas allé hier chez les Brancovan (c’est sur la route qu’a eu lieu ce fou rire, il faut dire que la Princesse Brancovan le donnerait à n’importe qui par la folie de ses manières. C’est une âme toute de bonté et de distinction morale mais Mme Tirman est une personne calme à côté d’elle et c’est un composé d’impulsion nerveuse et d’extravagance orientale qui fait sourire dédaigneusement M. de Noailles disant : que voulez-vous elle est nerveuse[)]. Et le soir j’ai préféré me promener seul après dîner jusqu’au casino (où je n’entre pas) et revenir. Je sais maintenant que si le Prince de Chimay4 n’est pas à la villa, c’est surtout à cause de l’Affaire, il ne pense pas comme le reste de la famille quoique très modéré et on lui ferait la vie impossible. C’est aussi à cause de la chasse mais je ne crois pas qu’il trouve un gibier qui vaille sa femme5. – M. de Polignac m’a raconté qu’il (lui, Polignac) avait fait une campagne boulangiste avec Barrès et Paul Adam pour tâcher de se faire nommer député. Il faisait des discours dans les réunions publiques et il plaisante lui-même très finement l’insincérité de l’attitude qu’il prenait. « Un ouvrier m’ayant demandé si j’étais socialiste, j’ai répondu : mais voyons, comment avez-vous pu en douter un instant ! » – .

– Je crois que je ne bougerai pas tantôt. Le temps reste à la pluie. Je ferai quelques pas mais pas trop. Quant au soir une dépêche de Maugny m’annonce qu’il viendra dîner avec moi. Je n’ai pas le moyen de le décommander, ni les moyens de le recevoir ainsi. Je lui dirai que si jamais il vient je préfère le déjeuner (4 et 4 = 8 – 7 et 7 = 14).

Ci-joint cette lettre de Poupetière. Parle à Robert6 pour la ligue des Droits de l’Homme et dis-moi sa réponse, celle d’Abel. C’est très pressé.