J’ai dormi par bribes mais enfin bien (sauf asthme qui me restait) et tout étonné de me réveiller sans apercevoir devant moi la désolation. J’en ai profité pour rester douze heures dans mon lit, mon pouls est tombé de 120 à 76 et j’ai pu hier aller dîner chez Durand2 avec Brancovan sans avoir de crise ni pendant le dîner, ni après, ni cette nuit, ce qui est une nouveauté depuis mes soirées quotidiennes. Bien plus, moi qui ces jours-ci faisais des ravages de poudre (ayant été repris de mon asthme), j’ai fumé à peine vers cinq heures du matin en me mettant au lit et plus une seule fois jusqu’à huit heures ce soir, c’est-à-dire infiniment moins que quand j’étais couché. J’ai refait douze heures de lit et je me suis levé pour dîner vers huit heures, mais mes ennuis sont un peu repris, hélas. – Je n’ai toujours pas repris de lavements ce qui prouve qu’ils ne sont pas si nécessaires. – . Ton absence, même survenue dans une période si désastreuse de ma vie, commence pourtant à porter ses fruits (ne prends pas cela avec susceptibilité comme Mme Roussel !). Ainsi hier soir et ce soir j’ai supprimé pour m’habiller le deuxième caleçon et cette nuit et tantôt, chose infiniment plus difficile, j’ai supprimé dans mon lit, le deuxième tricot des Pyrénées. Comme j’ai pris froid tantôt je ne sais si je pourrai refaire la même chose ce soir, mais enfin cela reste en tout cas acquis et je ne l’espérais plus. Mes nombreux dîners au restaurant ont remis mon estomac à neuf. J’y mange pourtant beaucoup plus. Mais beaucoup plus lentement. Et puis c’est mon Évian, mon déplacement, ma villégiature à moi qui n’en ai pas3. Du reste on me trouve très bonne mine. L’asthme me paraissant enrayé, je crois que si mes ennuis pouvaient s’apaiser... mais hélas. – . Tu me dis à cet égard qu’il y a des gens qui en ont autant et qui ont à travailler pour faire vivre leur famille. Je le sais. Bien que les mêmes ennuis, de bien plus grands ennuis, d’infiniment plus grands ennuis, ne signifie pas forcément les mêmes souffrances. Car il y a en tout ceci deux choses : la matérialité du fait qui fait souffrir. Et la capacité de la personne – due à sa nature – à en souffrir. Mais enfin je suis persuadé que bien des gens souffrent autant, et bien plus, et cependant travaillent. Aussi apprenons-nous qu’ils ont eu telle ou telle maladie et qu’on leur a fait abandonner tout travail. Trop tard, et j’ai mieux aimé le faire trop tôt. Et j’ai eu raison. Car il y a travail et travail. Le travail littéraire fait un perpétuel appel à ces sentiments qui sont liés à la souffrance (« Quand par tant d’autres nœuds tu tiens à la douleur4 »). C’est faire un mouvement qui intéresse un organe blessé qu’il faut au contraire laisser immobile. Ce qu’il faudrait au contraire c’est de la frivolité et de la distraction. Mais nous sommes au mois d’août. Et puis malgré tout, cela va mieux, au moins en ce moment.
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