Vous vous expliquerez plus tard avec moi.

– Laissez-moi imaginer le contenu de votre lettre, répondit le cousin sans prêter la moindre attention à cette interruption.

– On ne l’a que trop imaginé, répliqua miss Serle. C’était un simple avertissement ; je devinais presque ce qui allait arriver.

Mon compagnon prit son chapeau.

– Les peines et les plaisirs de ce jour, dit-il à sir Richard, resteront également gravés dans ma mémoire ; mais je ne vous en veux pas. Vous connaître, reprit-il en tendant la main à sa cousine, a été une des grandes joies de ma vie.

– Et toutes les peines seront pour moi ! dit notre hôte en ricanant.

– Je crains bien que non, à en juger par ce que j’endure, répliqua Serle.

Je lui pris le bras, et nous franchîmes le seuil de cette demeure inhospitalière. Tandis que je m’éloignais, j’entendis miss Serle éclater en sanglots.

– Quel rêve ! murmura Serle, tandis que la voiture nous emportait vers la petite auberge que nous avions quittée le matin, nous attendant si peu à rencontrer un ennemi ou une amie. Quel rêve ! Quel réveil ! Quelle longue journée ! Quelle scène hideuse ! Pauvre femme !

Avant qu’il se retirât pour la nuit, je voulus apprendre si le billet de miss Serle se rattachait à quelque chose qui s’était passé entre elle et lui à la suite de ce malencontreux diner.

– Cela m’étonnerait, dit-il, car elle est la franchise personnifiée. Je l’ai rencontrée sur la terrasse où elle se promenait d’un air inquiet. Pour ma part, j’étais très agité, j’ignore pourquoi. Je ne me rappelle pas comment je l’ai abordée. Je lui ai demandé, je crois, si elle connaissait l’histoire de cette Marguerite qui, en dépit de sa famille, avait épousé un pauvre diable étranger. Elle a paru effrayée et troublée. « Je ne sais rien », répondit-elle en se servant de l’expression employée par son frère. Je me sentais un peu gris. Est-ce que j’avais trop bu ? Gris ou non, mes paroles venaient tout droit du cœur. Sous les pâles rayons de la lune, je la trouvais plus jeune, plus belle, plus gracieuse. J’ai été éloquent sans effort. Je lui ai pris la main et l’ai appelée Marguerite. Elle me dit que c’était impossible, qu’elle n’avait jamais résisté à son frère. Enfin je lui parlai de mes droits. « Ils existent donc ? » demanda-t-elle. « Ils sont assez réels pour que votre frère ne soit qu’à moitié rassuré. Mais j’y renonce ; soyez généreuse comme celle dont vous portez doublement le nom. C’est vous seule que j’aime, vous seule que je veux. » Un moment son visage rayonna. « Et si je vous épousais, dit-elle, cela réparerait tout ? – Si vous m’épousiez, mes peines disparaîtraient comme une goutte d’eau dans l’Océan ; je ne me souviendrais plus d’avoir souffert ! – Moi, je souffrirais de ne pouvoir vous consoler, murmura-t-elle... Notre mariage ?... N’insistez pas ce soir... Laissez-moi le temps de réfléchir. » Et elle s’éloigna en se cachant le visage dans les mains. Après avoir fait un tour ou deux sur la terrasse, je suis rentré. Voilà toute la sorcellerie que l’on puisse me reprocher.

Le pauvre garçon était à la fois si excité et si épuisé par les émotions de la journée que je me figurai qu’il ne dormirait guère. Comme je me sentais moi-même peu disposé au sommeil, je fis jeter du bois dans ma cheminée et je me mis à écrire. J’entendis la grande horloge de la salle à manger située au-dessous de ma chambre sonner minuit, une heure, une heure et demie.