Enfin, assez récemment, un avocat de New-York qui se rendait à Londres offrit de tâter le terrain. C’est avec lui que vous m’avez vu dîner. Malgré ses manières communes il se vante avec raison d’être un fin limier. Au bout de six semaines il m’écrivit qu’il serait fort surpris « s’il n’y avait pas quelque chose à en tirer. » Poussé par la pauvreté, me voilà en route pour l’Europe. Hier, mon précieux Simmons m’annonce, la bouche pleine, que je ne suis qu’un sot et qu’il faut abandonner tout espoir... Bah ! je suis déjà résigné. Je me doutais, au fond, qu’une dernière illusion viendrait couronner mes illusions passées. J’aimais l’Angleterre avant de la connaître et l’idée de mourir ici me rend heureux. Seulement, ajouta-t-il en hésitant et en posant la main sur la mienne, il me reste encore un souhait à former. Mes heures sont comptées, je le sais, et je voudrais que vous pussiez être avec moi jusqu’à la fin.
– À la condition que vous renoncerez à ce ton sépulcral, répondis-je. La fin ! c’est peut-être le commencement.
Il secoua tristement la tête.
– Je suis incurablement malade, dit-il.
– Je soupçonne que votre mal est plutôt moral que physique. Ce que vous venez de me raconter me prouve que vous avez trop vécu en vous-même. Changez de système. Promenez votre esprit au dehors.
– Lorsque vous trouverez un pendu, ne coupez pas la corde, répliqua-t-il en fixant sur moi son regard indécis et avec un faible sourire. Ceux qui se pendent ont leurs raisons. Je suis ruiné.
– La santé, c’est l’argent. La santé revenue, tout ira bien. Je m’intéresse à votre affaire d’héritage. A-t-on jamais fixé un chiffre ?
– Simmons parlait de quatre-vingt-cinq mille dollars. Pourquoi quatre-vingt-cinq mille dollars ? Je n’en sais rien. Cette somme, du reste, est insignifiante, comparée à la valeur entière de la propriété dont il s’agit.
– Encore une question, – quel est le propriétaire actuel ?
– Sir Richard Serle, que je ne connais en aucune façon.
– Il est votre parent ?
– Mon grand-père et le sien étaient frères utérins.
– Mettons alors que vous soyez cousins. Et où demeure votre cousin ?
– À Locksley-Park, dans le comté de Hereford.
Je réfléchis un instant. – Je m’intéresse à vous, monsieur Serle, repris-je, à votre histoire, à votre héritage, fantastique ou non, et à Locksley-Park. Si nous allions voir la propriété ?
Il se redressa avec une vivacité qui me parut de bon augure.
– Je n’aurais jamais eu le courage d’accomplir seul le pèlerinage, répondit-il ; mais avec vous j’irais volontiers.
– Battons le fer pendant qu’il est chaud, m’écriai-je. Nous partirons demain. Pour le moment il faut songer à regagner Londres.
II
Sur les limites des comtés de Hereford et de Worcester, sur des pentes ondulées, s’étendent les beaux pâturages de Malvern-Hill. Un gros livre rouge cher à l’aristocratie anglaise m’apprit que le domaine de Locksley-Park se trouvait dans ces parages, où le chemin de fer nous débarqua dès le lendemain.
Nous descendîmes dans une auberge dont l’isolement pittoresque séduisit mon compagnon. Cette admirable région offre comme un résumé de la physionomie générale des plus beaux paysages anglais. Grâce aux pluies récentes on aurait pu se croire en plein printemps. Les prairies verdissaient et déjà les haies étaient en fleur.
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