Et pourtant…
Vraiment, l’on aurait dit — ce fut l’expression dont se servit par la suite mon ami — on aurait dit la mise en scène adroitement préparée d’un prestidigitateur : tout s’effectue derrière le rideau et à proximité du public, et quand le rideau se relève, on constate des disparitions, des changements, la délivrance de telle personne enfermée dans une armoire, l’emprisonnement de telle autre. C’était à la fois sinistre et absurde, macabre et presque risible, œuvre de quelque fou furieux, à laquelle on eût pu croire que les victimes s’étaient prêtées de bonne grâce, en souriant, et comme on s’offre à faire partie d’un tableau vivant destiné à charmer ou à terrifier les spectateurs.
Nous nous regardâmes, épouvantés. Les domestiques, des gens du château arrivaient et poussaient des cris d’effroi. Mon ami murmura :
— Maxime Bermont…
De fait, lui seul, étant donné la vitesse égale de son automobile, aurait pu… Mais non, cela n’était pas admissible. Pour qu’un acte se produise, il faut qu’un certain nombre de circonstances se trouvent réunies qui le rendent réalisable.
Or, l’hypothèse qui nous venait à l’esprit involontairement était si dénuée de toute vraisemblance que nous n’aurions même pas su la formuler.
Et cependant que faisait Maxime ? Où était-il ? Mon ami me dit :
— Vite, repars, mon chauffeur va te conduire. Peut-être trouveras-tu en route quelque indice…
Je repris le chemin que nous avions suivi. Au bout de vingt minutes, après un tournant, nous arrêtâmes subitement.
Sur le bord de la route, contre le talus, il y avait une automobile renversée, brisée, tordue. À côté deux corps gisaient.
Je descendis. C’étaient Maxime et son mécanicien. Ils étaient morts. L’homme ne présentait aucune blessure apparente. Mais Maxime — et c’est là ce qui achève de donner à l’aventure toute son horreur tragique — Maxime avait été frappé entre les deux épaules de trois coups de couteau.
L’enquête fut longue. Avec mon collègue, le juge d’instruction, nous la poursuivîmes patiemment et minutieusement. En vain. Des recherches sur le passé des victimes ne nous apprirent pas davantage. Tout au plus ce potin : Maxime Bermont aurait été, deux ans auparavant, l’ami très intime de Mme Andrey, la mère d’Henriette et de Suzanne. Voilà tout. Et pourtant je vous jure que je n’ai pas épargné ni mon temps, ni mes forces, ni mon intelligence. Mais, que voulez-vous, il y a de ces choses dont il semble que la destinée est de rester pour nous un inviolable secret. Celle-ci est au nombre de ces choses.
M. de Beautrelet se leva.
— Eh bien ? lui dit-on.
— Eh bien, quoi ?
— Mais la suite ? la vérité sur le drame ?
— La vérité ? Mais je l’ignore. Vous me demandez une histoire de crime : je vous en raconte une. Je ne puis pourtant pas vous donner le mot d’une énigme que je n’ai pu déchiffrer.
Il nous salua et sortit.
Nous nous regardions, assez décontenancés. S’était-il moqué de nous ? Avait-il imaginé ce récit de toutes pièces, pour nous mystifier et nous punir avec esprit de notre insistance quotidienne ?
Les Professionnels
On fait les choses proprement ou l’on se tient tranquille. Quand on a l’honneur d’exercer un métier, on y doit apporter la conscience la plus scrupuleuse.
Le gros Victor et le Flandrin ne s’écartent jamais de ces principes. Ils professent, eux, l’assassinat. Point l’assassinat banal, pourri de fautes, d’inadvertances, d’enfantillages, non. Ils mettent leur orgueil à remplir leur fonction de meurtrier selon les bonnes règles, selon les grands exemples, selon les derniers perfectionnements, selon, surtout, une impitoyable prudence.
Parmi les souvenirs dont ils sont fiers à juste titre, ils racontent complaisamment celui-ci :
Un soir, ils partent en campagne. Ciel sombre. Du vent.
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