C'est un basilic pour mes yeux! que l'honneur ne se trouve jamais où est la beauté, la vérité où est la vraisemblance, l'amour où se trouve un autre homme! Que les serments des femmes ne les lient pas plus à ceux qui les ont reçus, qu'elles ne tiennent elles-mêmes à leur vertu, qui n'est que néant; ô perfidie au delà de toute mesure!

PHILARIO.--Calmez-vous, seigneur, et reprenez votre diamant, il n'est pas encore gagné. Il est probable qu'elle a perdu ce bracelet; ou qui sait, s'il ne lui a pas été dérobé par quelqu'une de ses suivantes que l'on aura corrompue.

POSTHUMUS.--Vous avez raison, oui, je crois qu'il se l'est procuré ainsi: (à Iachimo) allons, rendez-moi ma bague.--Donnez-moi une preuve plus convaincante, quelque signe que vous ayez vu sur sa personne, car ceci a été volé.

IACHIMO.--Par Jupiter, il a passé de son bras dans mes mains.

POSTHUMUS.--L'entendez-vous? il jure, il jure par Jupiter: c'est vrai.--Allons, gardez le diamant. C'est vrai, je suis sûr qu'elle n'a pu le perdre; ses suivantes ont toutes prêté serment et sont des femmes d'honneur;--elles l'auraient volé, elles! elles se seraient laissé corrompre, et cela par un étranger! Non, elle s'est livrée à lui. (Montrant le bracelet.) Voilà la preuve de son déshonneur, c'est à ce prix qu'elle a acheté le nom de prostituée. (A Iachimo.) Tenez, prenez votre salaire, et que tous les démons de l'enfer se partagent entre elle et vous!

PHILARIO.--Seigneur, modérez-vous; ce n'est point encore là une preuve assez forte pour convaincre un homme bien persuadé de...

POSTHUMUS.--Ne m'en parlez jamais, elle s'est donnée à lui.

IACHIMO.--Si vous voulez un témoignage plus satisfaisant: au-dessous de son sein, qui mérite bien qu'on le presse amoureusement, est un signe tout fier de cette charmante demeure. Sur ma vie, je l'ai baisé; et quoique rassasié de jouir, je sentis soudain renaître mon ardeur. Vous rappelez-vous cette tache qu'elle a sur le sein?

POSTHUMUS.--Oui, et elle sert maintenant à me convaincre d'une autre tache, la plus vaste que puisse contenir l'enfer,--quand elle y serait toute seule...

IACHIMO.--Voulez-vous en entendre davantage?

POSTHUMUS.--Épargnez-moi votre arithmétique; ne comptez point vos triomphes; un seul ou un million, qu'importe.

IACHIMO.--Je vais le jurer.

POSTHUMUS.--Point de serments: si vous le jurez, vous n'avez pas fait ce que vous dites, vous mentez; et je vous tue si vous osez nier que vous m'ayez déshonoré.

IACHIMO.--Je ne nierai rien.

POSTHUMUS.--Oh! que ne l'ai-je ici pour la mettre en pièces! J'irai, et je le ferai en présence de la cour et sous les yeux de son père.--Je ferai quelque chose...

(Il sort.)

PHILARIO.--Il est emporté au delà des bornes de la raison. Vous avez gagné. Suivons-le, pour détourner la fureur dont il est transporté en ce moment contre lui-même.

IACHIMO.--De tout mon coeur.

(Ils sortent.)


SCÈNE V

Rome.--Un autre appartement dans la même maison.

POSTHUMUS seul.


POSTHUMUS.--L'homme ne pourrait-il trouver un moyen d'être sans que la femme fût de moitié dans l'oeuvre; nous sommes tous bâtards; et ce respectable mortel, que je nommais mon père, était je ne sais où lorsque je fus formé? Un faussaire me fabriqua et fit de moi une pièce fausse. Cependant ma mère semblait la Diane de son temps, comme ma femme est la merveille du sien.--Oh! vengeance, vengeance! Souvent elle mettait un frein à mes légitimes ardeurs; elle implorait ma réserve avec une rougeur si pudique, que sa vue seule eût réchauffé le vieux Saturne. Je la croyais chaste comme la neige qui n'a point encore senti l'atteinte du soleil. Oh! de par tous les diables! ce jaune Iachimo, en une heure! N'est-ce pas? Peut-être en moins de temps, dès l'abord? Peut-être n'a-t-il pas eu la peine de parler; et tel qu'un sanglier allemand parvenu au terme de sa croissance, il n'a fait que crier: Ho! et s'est satisfait. Il n'aura trouvé aucune résistance; pas même celle qu'il attendait pour jouir de ce qu'elle devait garder de toute atteinte. Si je pouvais découvrir en moi ce qui appartient à la femme! car l'homme n'a point en lui de penchant pour le vice qu'il ne vienne de la femme. Est-ce le mensonge? faites-y bien attention, il vient de la femme; quelque flatterie? elle est d'elle; quelque perfidie? c'est encore d'elle; volupté, mauvaises pensées, d'elle, d'elle; vengeance, d'elle; ambition, cupidité, orgueil, dédain, caprices, médisance, inconstance, enfin tous les vices qui ont un nom et que l'enfer connaît, viennent de la femme en tout ou en partie; mais plutôt en tout. Elles ne sont pas même constantes dans un vice; elles en changent sans cesse, quittant toujours un vice, ne fût-il vieux que d'une minute, pour un vice la moitié plus nouveau. Je veux écrire contre elles; je les déteste, je les maudis. Oh! il est plus adroit à une véritable haine de prier le ciel d'accomplir leur volonté; les diables eux-mêmes ne peuvent les mieux tourmenter.

(Il sort.)

FIN DU SECOND ACTE.



ACTE TROISIÈME


SCÈNE I

Grande-Bretagne.--Une salle d'apparat dans le palais de Cymbeline.

Entrent CYMBELINE, LA REINE, CLOTEN et les seigneurs de la cour.
CAIUS-LUCIUS et sa suite entrent du côté opposé.


CYMBELINE, à Lucius.--Parle maintenant: que demande César Auguste?

LUCIUS.--Lorsque Jules César, dont la mémoire vit encore aux yeux des hommes, et qui servira éternellement de thème aux langues pour raconter, et aux oreilles pour entendre, était dans cette Bretagne, et qu'il la conquit, Cassibelan10, ton oncle, aussi célèbre par les éloges qu'il reçut de César que par les exploits qui les méritèrent, se soumit, lui et ses successeurs, à payer à Rome un tribut annuel de trois mille pièces d'or: ce tribut, tu as dernièrement négligé de le payer.

Note 10: Cassibelan, grand-oncle de Cymbeline, qui était lui-même fils de Tenantius, neveu de ce Cassibelan.

LA REINE.--Et pour anéantir ce prodige, il en sera toujours de même.

CLOTEN.--Il passera bien des Césars avant qu'il revienne un autre Jules. La Bretagne forme à elle seule un monde, et nous ne voulons rien payer pour le droit de porter nos nez au milieu du visage.

LA REINE.--L'occasion que les Romains eurent alors pour nous ravir notre bien, nous l'avons aujourd'hui pour le reprendre. Souvenez-vous, seigneur, des rois vos ancêtres, et de la valeur naturelle aux peuples de notre île, qui flotte comme la face de Neptune, flanquée de rocs inaccessibles, ceinte d'écueils et de mers menaçantes, qui ne porteront jamais les vaisseaux de vos ennemis, mais les engloutiront jusqu'à la cime des mâts. César fit bien ici une espèce de conquête: mais ce n'est pas ici qu'il exécuta sa bravade: Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu. Il connut pour la première fois la honte; il se vit repoussé de nos côtes et deux fois battu; ses vaisseaux, pauvres novices, jouets de nos terribles mers, ballottés sur leurs flots comme des coquilles d'oeuf, se brisaient de même contre nos rochers. Dans sa joie, le célèbre Cassibelan qui se vit un moment sur le point, ô trompeuse fortune! de s'emparer de l'épée de César, fit briller la ville de Lud11 de feux d'allégresse, et enfla de courage le coeur des Bretons.

Note 11: Londres.

CLOTEN.--Allons, il n'y a plus ici de tribut à payer. Notre royaume est plus puissant qu'il ne l'était alors; et, comme je l'ai dit, il n'y a plus de pareils Césars; d'autres pourront avoir le nez crochu, mais le bras aussi droit, personne.

CYMBELINE.--Mon fils, laissez conclure votre mère.

CLOTEN.--Nous avons chez nous bien des gens qui peuvent serrer aussi fort que Cassibelan: je ne dis pas que je sois de ce nombre, moi: mais j'ai aussi un bras.--Vraiment, un tribut? Et pourquoi payerions-nous un tribut? Si César peut nous cacher le soleil avec une couverture, ou mettre la lune dans sa poche, alors nous lui payerons un tribut pour revoir la lumière: autrement, seigneur, ne parlons plus de tribut, je vous en prie.

CYMBELINE.--Vous devez savoir qu'avant que les injustes Romains eussent extorqué de nous ce tribut, nous étions libres. L'ambition de César, qui s'enflait sans cesse, au point d'embrasser presque les deux flancs de l'univers, nous imposa ce joug sans aucun droit: le secouer est le devoir d'un peuple belliqueux; ce que nous nous vantons d'être. Nous disons donc que nous eûmes pour ancêtres ce Mulmutius qui fonda nos lois: l'épée de César les a trop mutilées. Rendre à ces lois leur vigueur et leur libre cours sera la bonne oeuvre de l'autorité que nous tenons en main, quoique Rome s'en irrite. Oui: Mulmutius fut le premier des Bretons qui ceignit son front d'une couronne d'or, le premier qui se nomma roi.

LUCIUS.--Je suis fâché, Cymbeline, d'avoir à te déclarer pour ennemi César Auguste, qui compte plus de rois à ses ordres que tu n'as d'officiers à ta cour. Au nom de César, je t'annonce la guerre et la ruine: prévois un orage auquel rien ne pourra résister. Après ce défi, je te remercie en mon propre nom.

CYMBELINE.--Tu es le bienvenu, Caïus, ton César m'a fait chevalier; j'ai passé près de lui une grande partie de ma jeunesse; j'ai recueilli près de lui cet honneur qu'il cherche aujourd'hui à me ravir; je suis contraint de le défendre à toute extrémité.--Je suis bien informé que les Pannoniens et les Dalmatiens, pour maintenir leurs franchises, sont maintenant en armes.