Si, dans cet exemple, les Bretons ne lisaient pas leur devoir, ils se montreraient insensibles; c'est ce que César ne les trouvera pas.
LUCIUS.--Laissez parler les preuves.
CLOTEN.--Sa Majesté vous souhaite la bienvenue: passez gaiement avec nous un jour ou deux, ou plus encore. Après, si vous revenez nous chercher dans d'autres intentions, vous nous trouverez dans notre ceinture d'eau salée. Si vous nous en chassez, elle est à vous; si vous échouez dans l'entreprise, nos corbeaux en feront meilleure chère à vos dépens, et tout finit là.
LUCIUS.--Comme vous dites, seigneur.
CYMBELINE.--Je connais les volontés de votre maître; lui, les miennes. Il ne me reste plus qu'à vous dire: soyez le bienvenu.
(Ils sortent.)
SCÈNE II
Un autre appartement dans le même palais.
PISANIO entre, des lettres à la main.
PISANIO.--Quoi! d'adultère? Pourquoi ne me nommes-tu pas le monstre qui l'accuse? O Posthumus! ô mon maître! quel venin étranger s'est glissé dans ton oreille! Quel Italien perfide, le poison à la langue comme à la main12, a triomphé de ta crédulité trop prompte!--Infidèle? Non, elle est victime de sa fidélité; et elle soutient plutôt comme une déesse que comme une épouse des assauts qui triompheraient de mainte vertu. O mon maître! ton âme devant la sienne est maintenant tombée aussi bas que l'était ta fortune. Qui? moi, que je la poignarde! Au nom de l'affection, de la foi que je t'ai jurée, de mon dévouement à tes ordres: Moi! elle! son sang! Si c'est là te rendre un service, que jamais on ne me tienne pour un homme à services. Quel air ai-je donc pour paraître dépouillé d'humanité au degré que supposerait cette action? (Lisant.) Obéis: la lettre que je t'envoie pour elle te fournira l'occasion de le faire par ses ordres. Papier infernal, aussi noir que l'encre qui te couvre, matière insensible, es-tu complice de cet acte, en conservant à l'extérieur ta blancheur virginale?--La voici. (Entre Imogène.) Je ne sais plus ce qui m'est commandé.
Note 12: Déjà les empoisonnements étaient fréquents en Italie.
IMOGÈNE.--Eh bien! Pisanio, quelles nouvelles?
PISANIO.--Madame, voici une lettre de mon maître.
IMOGÈNE.--Qui? ton maître? C'est le mien, Léonatus. Oh! il serait bien savant, l'astronome qui connaîtrait les étoiles comme je connais ses caractères! le livre de l'avenir lui serait ouvert.--Dieux propices, faites que tout ce qui est contenu ici ne respire que l'amour, ne parle que de la santé de mon époux, de son contentement,--non pas pourtant de ce que nous sommes séparés l'un de l'autre; que plutôt cela l'afflige. Il est des chagrins salutaires; celui-là est du nombre; c'est un remède qui fortifie l'amour... Mais, à part cela, qu'il soit content. Bonne cire, permets... soyez bénies, vous abeilles, qui formez ces sceaux des secrets. (Les amants et les hommes liés par des pactes dangereux ne font pas les mêmes voeux.) Tu jettes les faussaires dans les prisons; mais tu scelles aussi les tablettes de l'amour!... De bonnes nouvelles, grands dieux! (Elle lit.)
«La justice et le courroux de votre père, s'il venait à me surprendre dans ses États, ne seront jamais si mortels pour moi que vous ne puissiez, ô la plus chérie des créatures, me ranimer d'un regard de vos yeux. Apprenez que je suis en Cambrie, au havre de Milford; suivez, sur cet avis, la marche que vous inspirera votre amour. Votre bonheur en tout est le voeu de celui qui reste fidèle à ses serments, et dont l'amour va croissant tous les jours.
«LÉONATUS POSTHUMUS.»
Oh! un cheval avec des ailes! L'entends-tu, Pisanio? Il est au havre de Milford. Lis et dis-moi à quelle distance c'est d'ici. Si un homme qui n'est appelé que par de minces affaires peut à l'aise y arriver en une semaine, ne pourrais-je, moi, y voler en un jour! Allons, fidèle Pisanio, toi qui languis ainsi que moi du désir de voir ton maître: oh! laisse-m'en rabattre! tu languis, mais non comme moi; tu languis aussi de le voir, mais plus faiblement... Oh! non, pas comme moi; car mon désir est au dessus, au-dessus... réponds et presse tes paroles: un confident d'amour doit les précipiter, les entasser dans l'oreille.--Combien y a-t-il d'ici à ce bienheureux Milford? et sur la route tu me raconteras par quel bonheur le pays de Galles possède ce port.--Mais avant tout, comment nous dérober de ces lieux? Et puis l'espace de temps qui va s'écouler entre le départ et notre retour, comment l'excuser?... Mais d'abord comment sortir d'ici? pourquoi fait-on naître ou engendre-t-on des excuses? nous en parlerons plus tard. De grâce, réponds: combien de vingtaines de milles pourrons-nous parcourir dans une heure?
PISANIO.--Une vingtaine, madame, entre deux soleils, c'est assez pour vous; (à part) et trop aussi!
IMOGÈNE.--Mais, ami, un malheureux qui irait à son supplice ne s'y traînerait pas si lentement. J'ai ouï parler de ces paris de courses où les chevaux étaient plus légers que le grain de sable qui glisse dans nos horloges; mais ce sont de vains propos.--Va, dis à ma suivante qu'elle feigne une indisposition, qu'elle dise vouloir se rendre auprès de son père; et prépare-moi à l'instant un habit de cheval aussi simple que celui que porterait la ménagère d'un franklin13.
Note 13: Homme libre, propriétaire; ni vilain, ni vassal.
PISANIO.--Madame, vous devriez considérer....
IMOGÈNE.--Je vois la route qui est devant moi, Pisanio; et rien ici, ni là, ni rien de ce qui peut arriver. Tout le reste est enveloppé d'un brouillard que je ne puis pénétrer. Hâtons-nous, je te prie; fais ce que je t'ordonne; nous n'avons plus rien à dire. Il ne s'agit plus que de la route qui mène à Milford.
(Ils sortent.)
SCÈNE III
Le pays de Galles.--Contrée montagneuse, avec une caverne.
BÉLARIUS sort de la caverne avec GUIDÉRIUS et ARVIRAGUS.
BÉLARIUS.--Un trop beau jour pour qu'on le passe à la maison sous un toit aussi bas que le nôtre. Courbez-vous, jeunes gens! cette porte vous apprend à adorer le ciel et vous fait incliner pour la sainte prière du matin. Les portes des monarques ont des voûtes si élevées, que des géants impies peuvent y passer avec leurs turbans, sans saluer le soleil.
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