Mon désir le plus sincère serait de voir le parti travailliste l’emporter avec une nette majorité aux prochaines élections. Mais nous connaissons tous le passé du parti travailliste, et nous connaissons la redoutable tentation du moment présent – la tentation de jeter les principes par-dessus bord pour se préparer à une guerre impérialiste. Il est d’une importance vitale qu’existe un rassemblement d’individus sur lesquels on puisse compter pour ne pas renier leurs principes socialistes, fût-ce face à la persécution.
Je crois que le parti travailliste indépendant est le seul parti qui, en tant que parti, soit à même d’appliquer une politique conséquente, que ce soit dans la lutte contre la guerre impérialiste ou contre le fascisme, quand celui-ci se manifestera sous sa forme britannique. Et d’ailleurs, le parti travailliste indépendant n’est soutenu par aucune puissance d’argent et se voit calomnié de divers côtés. À l’évidence, il a besoin de tous les soutiens disponibles, y compris de celui que je pourrai éventuellement lui fournir.
Enfin, j’ai fait parti du contingent de l’I.L.P. en Espagne. Je n’ai jamais affirmé, ni alors ni depuis, être en plein et total accord avec la ligne politique défendue par le P.O.U.M. et soutenue par l’I.L.P., mais elle a été justifiée par le cours des événements. Ce que j’ai vu en Espagne m’a fait toucher du doigt le péril mortel qu’on encourt en s’enrôlant sous la bannière purement négative de l’« antifascisme ». Après avoir saisi les principaux aspects de la situation espagnole, j’ai compris que l’I.L.P. était le seul parti britannique qui pouvait me convenir – et aussi le seul parti auquel je puisse adhérer en ayant au moins la certitude de ne jamais être mené en bateau au nom de la démocratie capitaliste.
(1938)
Charles Dickens
I
Dickens est de ces écrivains sur lesquels tout le monde veut faire main basse. Même son enterrement, à Westminster Abbey, fut une sorte de détournement de cadavre, si l’on y songe.
Quand Chesterton écrivit ses introductions à l’édition Everyman des oeuvres de Dickens, il lui parut tout naturel d’attribuer à ce dernier le genre de passéisme médiévalisant qui lui était très personnel, et plus récemment, un auteur marxiste, Μ. T.A. Jackson [11], a dépensé une belle énergie pour faire de Dickens un révolutionnaire assoiffé de sang. Les marxistes le revendiquent comme étant « presque » marxiste, les catholiques comme étant « presque » catholique, et les deux camps tiennent à en faire un champion du prolétariat (ou des « pauvres », comme aurait dit Chesterton). D’un autre côté, Nadejda Kroupskaïa raconte dans son petit livre sur Lénine que vers la fin de sa vie celui-ci était allé voir une adaptation à la scène du Cricket on the Hearth et avait trouvé le « sentimentalisme petit-bourgeois » de Dickens si insupportable qu’il était parti au beau milieu de la représentation.
Si l’on prend « petit-bourgeois » dans le sens que voulait certainement lui donner Kroupskaïa, il s’agit là d’un jugement plus juste que celui de Chesterton ou de Jackson. Mais il faut remarquer que le mépris pour Dickens manifesté par cette remarque est quelque chose d’assez peu courant. Nombreux sont ceux qui ont trouvé l’auteur illisible, mais bien rares semblent ceux qui ont ressenti de l’aversion pour l’esprit général de son oeuvre. Il y a quelques années, M. Bechhofer Roberts publiait un roman (This Side Idolatry), en réalité une attaque en règle contre Dickens, mais une attaque exclusivement personnelle, fondée principalement sur la manière dont Dickens avait traité sa femme. L’auteur évoquait des incidents dont pas un lecteur de Dickens sur mille n’avait entendu parler et qui ne remettaient pas plus en cause l’ensemble de son oeuvre que le testament de Shakespeare ne remet en cause Hamlet. Tout ce que démontrait en réalité le livre, c’est que la personnalité littéraire d’un écrivain a fort peu ou rien à voir avec son comportement privé. Il est très possible que dans le privé Dickens ait été l’espèce d’égoïste insensible que dépeint M. Bechhofer Roberts. Mais dans toute son oeuvre transparaît une personnalité tout à fait différente, une personnalité qui a valu à Dickens infiniment plus d’amis que d’ennemis. Il aurait très bien pu en être autrement, car aussi bourgeois soit-il, Dickens était un auteur subversif, un extrémiste, un révolté pourrait-on dire véritablement. Tous ceux qui ont longuement pratiqué son oeuvre l’ont bien senti. Ainsi, Gissing, le meilleur commentateur des oeuvres de Dickens, qui était lui-même tout ce que l’on veut sauf un extrémiste, réprouvait cette tendance chez Dickens et aurait préféré qu’elle n’existât pas, mais il ne lui est jamais venu à l’esprit de la nier. Dans Oliver Twist, Hard Times, Bleak House, Little Dorrit, Dickens a attaqué les institutions anglaises avec une férocité jamais égalée depuis. Pourtant, cette réussite ne l’a pas fait détester – mieux, ceux-là même qu’il attaquait se le sont si bien approprié qu’il est devenu à son tour une institution nationale.
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