Il a un gros nez, mais
pas les jambes en cerceau. Il demande une guinée, pour un
chien qu’il a trouvé. Il refuse de s’expliquer
plus clairement. D. lui donne la guinée ; il emmène
la cuisinière dans une petite maison, où elle trouva J.
attaché au pied de la table. – Joie de D. qui danse tout
autour de J. pendant qu’il mange son souper. – Enhardie
par cet heureux changement, je parle de D. C. quand nous sommes au
premier étage. D. se remet à sangloter. « Oh,
non, non. C’est si mal de penser à autre chose qu’à
mon papa ! » Elle embrasse J. et s’endort en
pleurant. (D. C. ne doit-il pas se confier aux vastes ailes du
temps ? J. M.) »
Miss Mills et son journal étaient
alors ma seule consolation. Je n’avais d’autre ressource
dans mon chagrin, que de la voir, elle qui venait de quitter Dora, de
retrouver la lettre initiale du nom de Dora, à chaque ligne de
ces pages pleines de sympathies, et d’augmenter encore par là
ma douleur. Il me semblait que jusqu’alors j’avais vécu
dans un château de cartes qui venait de s’écrouler,
nous laissant miss Mills et moi au milieu des ruines ! Il me
semblait qu’un affreux magicien avait entouré la
divinité de mon cœur d’un cercle magique, que les
ailes du temps, ces ailes qui transportent si loin tant de créatures
humaines, pourraient seules m’aider à franchir.
IX
Wickfield-et-Heep
Ma tante commençant, je
suppose, à s’inquiéter sérieusement de mon
abattement prolongé, imagina de m’envoyer à
Douvres, sous prétexte de voir si tout se passait bien dans
son cottage qu’elle avait loué, et dans le but de
renouveler le bail avec le locataire actuel. Jeannette était
entrée au service de mistress Strong, où je la voyais
tous les jours. Elle avait été indécise en
quittant Douvres, si elle confirmerait ou renierait une bonne fois ce
renoncement dédaigneux au sexe masculin, qui faisait le fond
de son éducation. Il s’agissait pour elle d’épouser
un pilote. Mais, ma foi ! elle ne voulut pas s’y risquer,
moins, pour l’honneur du principe en lui-même, je
suppose, que parce que le pilote n’était pas de son
goût.
Bien qu’il m’en coûtât
de quitter miss Mills, j’entrai assez volontiers dans les
intentions de ma tante ; cela me permettait de passer quelques
heures paisibles auprès d’Agnès. Je consultai le
bon docteur pour savoir si je pouvais faire une absence de trois
jours ; il me conseilla de la prolonger un peu, mais j’avais
le cœur trop à l’ouvrage pour prendre un si long
congé. Enfin je me décidai à partir.
Quant à mon bureau des
Doctors’-Commons, je n’avais pas grande raison de
m’inquiéter de ce que je pouvais y avoir à faire.
À vrai dire, nous n’étions pas en odeur de
sainteté parmi les procureurs de première volée,
et nous étions même tombés dans une position
équivoque. Les affaires n’avaient pas été
brillantes du temps de M. Jorkins, avant M. Spenlow, et
bien qu’elles eussent été plus animées
depuis que cet associé avait renouvelé, par une
infusion de jeune sang, la vieille routine de l’étude,
et qu’il lui eût donné quelque éclat par le
train qu’il menait, cependant elle ne reposait pas sur des
bases assez solides, pour que la mort soudaine de son principal
directeur ne vint pas l’ébranler. Les affaires
diminuèrent sensiblement.
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