Le Chaldéen Bérose découvrit que
la durée de son mouvement de rotation était égale à celle de son
mouvement de révolution, et il expliqua de la sorte le fait que la
Lune présente toujours la même face. Enfin Hipparque, deux siècles
avant l’ère chrétienne, reconnut quelques inégalités dans les
mouvements apparents du satellite de la Terre.
Ces diverses observations se confirmèrent par la suite et
profitèrent aux nouveaux astronomes. Ptolémée, au IIe siècle,
l’Arabe Aboul-Wéfa, au Xe, complétèrent les remarques d’Hipparque
sur les inégalités que subit la Lune en suivant la ligne ondulée de
son orbite sous l’action du Soleil. Puis Copernic[30] , au XVe siècle, et Tycho Brahé, au
XVIe, exposèrent complètement le système du monde et le rôle que
joue la Lune dans l’ensemble des corps célestes.
A cette époque, ses mouvements étaient à peu près
déterminés ; mais de sa constitution physique on savait peu de
chose. Ce fut alors que Galilée expliqua les phénomènes de lumière
produits dans certaines phases par l’existence de montagnes
auxquelles il donna une hauteur moyenne de quatre mille cinq cents
toises.
Après lui, Hevelius, un astronome de Dantzig, rabaissa les plus
hautes altitudes à deux mille six cents toises ; mais son
confrère Riccioli les reporta à sept mille.
Herschell, à la fin du XVIIIe siècle, armé d’un puissant
télescope, réduisit singulièrement les mesures précédentes. Il
donna dix-neuf cents toises aux montagnes les plus élevées, et
ramena la moyenne des différentes hauteurs à quatre cents toises
seulement. Mais Herschell se trompait encore, et il fallut les
observations de Shrœter, Louville, Halley, Nasmyth, Bianchini,
Pastorf, Lohrman, Gruithuysen, et surtout les patientes études de
MM. Beer et Mœdeler, pour résoudre définitivement la question.
Grâce à ces savants, l’élévation des montagnes de la Lune est
parfaitement connue aujourd’hui. MM. Beer et Mœdeler ont mesuré
dix-neuf cent cinq hauteurs, dont six sont au-dessus de deux mille
six cents toises, et vingt-deux au-dessus de deux mille quatre
cents[31] . Leur plus haut sommet domine de trois
mille huit cent et une toises la surface du disque lunaire.
En même temps, la reconnaissance de la Lune se complétait ;
cet astre apparaissait criblé de cratères, et sa nature
essentiellement volcanique s’affirmait à chaque observation. Du
défaut de réfraction dans les rayons des planètes occultées par
elle, on conclut que l’atmosphère devait presque absolument lui
manquer. Cette absence d’air entraînait l’absence d’eau. Il
devenait donc manifeste que les Sélénites, pour vivre dans ces
conditions, devaient avoir une organisation spéciale et différer
singulièrement des habitants de la Terre.
Enfin, grâce aux méthodes nouvelles, les instruments plus
perfectionnés fouillèrent la Lune sans relâche, ne laissant pas un
point de sa face inexploré, et cependant son diamètre mesure deux
mille cent cinquante milles[32] , sa
surface est la treizième partie de la surface du globe[33] , son volume la quarante-neuvième
partie du volume du sphéroïde terrestre ; mais aucun de ses
secrets ne pouvait échapper à l’œil des astronomes, et ces habiles
savants portèrent plus loin encore leurs prodigieuses
observations.
Ainsi ils remarquèrent que, pendant la pleine Lune, le disque
apparaissait dans certaines parties rayé de lignes blanches, et
pendant les phases, rayé de lignes noires. En étudiant avec une
plus grande précision, ils parvinrent à se rendre un compte exact
de la nature de ces lignes. C’étaient des sillons longs et étroits,
creusés entre des bords parallèles, aboutissant généralement aux
contours des cratères ; ils avaient une longueur comprise
entre dix et cent milles et une largeur de huit cents toises. Les
astronomes les appelèrent des rainures, mais tout ce qu’ils surent
faire, ce fut de les nommer ainsi. Quant à la question de savoir si
ces rainures étaient des lits desséchés d’anciennes rivières ou
non, ils ne purent la résoudre d’une manière complète. Aussi les
Américains espéraient bien déterminer, un jour ou l’autre, ce fait
géologique. Ils se réservaient également de reconnaître cette série
de remparts parallèles découverts à la surface de la Lune par
Gruithuysen, savant professeur de Munich, qui les considéra comme
un système de fortifications élevées par les ingénieurs sélénites.
Ces deux points, encore obscurs, et bien d’autres sans doute, ne
pouvaient être définitivement réglés qu’après une communication
directe avec la Lune.
Quant à l’intensité de sa lumière, il n’y avait plus rien à
apprendre à cet égard ; on savait qu’elle est trois cent mille
fois plus faible que celle du Soleil, et que sa chaleur n’a pas
d’action appréciable sur les thermomètres ; quant au phénomène
connu sous le nom de lumière cendrée, il s’explique naturellement
par l’effet des rayons du Soleil renvoyés de la Terre à la Lune, et
qui semblent compléter le disque lunaire, lorsque celui-ci se
présente sous la forme d’un croissant dans ses première et dernière
phases.
Tel était l’état des connaissances acquises sur le satellite de
la Terre, que le Gun-Club se proposait de compléter à tous les
points de vue, cosmographiques, géologiques, politiques et
moraux.
Chapitre 6
Ce qu’il n’est pas possible d’ignorer et ce qu'il n'est plus permis
de croire dans les États-Unis
La proposition Barbicane avait eu pour résultat immédiat de
remettre l’ordre du jour tous les faits astronomiques relatifs à
l’astre des nuits. Chacun se mit à l’étudier assidûment. Il
semblait que la Lune apparût pour la première fois sur l’horizon et
que personne ne l’eût encore entrevue dans les cieux. Elle devint à
la mode ; elle fut la lionne du jour sans en paraître moins
modeste, et prit rang parmi les « étoiles » sans en montrer plus de
fierté. Les journaux ravivèrent les vieilles anecdotes dans
lesquelles ce « Soleil des loups » jouait un rôle ; ils
rappelèrent les influences que lui prêtait l’ignorance des premiers
âges ; ils le chantèrent sur tous les tons ; un peu plus,
ils eussent cité de ses bons mots ; l’Amérique entière fut
prise de sélénomanie.
De leur côté, les revues scientifiques traitèrent plus
spécialement les questions qui touchaient à l’entreprise du
Gun-Club ; la lettre de l’Observatoire de Cambridge fut
publiée par elles, commentée et approuvée sans réserve.
Bref, il ne fut plus permis, même au moins lettré des Yankees,
d’ignorer un seul des faits relatifs à son satellite, ni à la plus
bornée des vieilles mistress d’admettre encore de superstitieuses
erreurs à son endroit. La science leur arrivait sous toutes les
formes ; elle les pénétrait par les yeux et les
oreilles ; impossible d’être un âne… en astronomie.
Jusqu’alors, bien des gens ignoraient comment on avait pu
calculer la distance qui sépare la Lune de la Terre. On profita de
la circonstance pour leur apprendre que cette distance s’obtenait
par la mesure de la parallaxe de la Lune. Si le mot parallaxe
semblait les étonner, on leur disait que c’était l’angle formé par
deux lignes droites menées de chaque extrémité du rayon terrestre
jusqu’à la Lune. Doutaient-ils de la perfection de cette méthode,
on leur prouvait immédiatement que, non seulement cette distance
moyenne était bien de deux cent trente-quatre mille trois cent
quarante-sept milles (— 94 330 lieues), mais encore que les
astronomes ne se trompaient pas de soixante-dix milles (— 30
lieues).
A ceux qui n’étaient pas familiarisés avec les mouvements de la
Lune, les journaux démontraient quotidiennement qu’elle possède
deux mouvements distincts, le premier dit de rotation sur un axe,
le second dit de révolution autour de la Terre, s’accomplissant
tous les deux dans un temps égal, soit vingt-sept jours et un
tiers[34] .
Le mouvement de rotation est celui qui crée le jour et la nuit à
la surface de la Lune ; seulement il n’y a qu’un jour, il n’y
a qu’une nuit par mois lunaire, et ils durent chacun trois cent
cinquante-quatre heures et un tiers. Mais, heureusement pour elle,
la face tournée vers le globe terrestre est éclairée par lui avec
une intensité égale à la lumière de quatorze Lunes. Quant à l’autre
face, toujours invisible, elle a naturellement trois cent
cinquante-quatre heures d’une nuit absolue, tempérée seulement par
cette « pâle clarté qui tombe des étoiles ».
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