J’espère qu’il vous donnera du courage.
SCÈNE V
Nuit de Noël. Le couloir du Carmel, toutes les portes des cellules ouvertes. La Prieure et Mère Marie de l’Incarnation, accompagnées de deux Sœurs portant des flambeaux, présentent le Petit Roi de Gloire de cellule en cellule. Chaque religieuse s’agenouille pour recevoir la statue, vêtue de la pauvre robe, la dépose à terre, la vénère, puis la rend à la Prieure qui s’agenouille à son tour.
SŒUR ANNE
Voici notre Petit Roi redevenu aussi pauvre qu’à Bethléem.
Lorsqu’on présente le Petit Roi à Blanche, elle sursaute et murmure, les larmes aux yeux :
SŒUR BLANCHE
Oh ! qu’il est petit ! qu’il est faible !
MÈRE MARIE
Non ! qu’il est petit ! et qu’il est puissant !
A l’instant où Blanche, agenouillée, se penche vers la statue, le chant de la Carmagnole retentit sous les murs du couvent. Blanche tressaille, laisse échapper le Petit Roi de Gloire dont la tête se brise sur les dalles. Terrifiée, avec l’expression d’une stigmatisée, Blanche s’écrie :
SŒUR BLANCHE
Oh ! le Petit Roi est mort. Il ne nous reste plus que l’Agneau de Dieu.
SCÈNE VI
Cellule de la Prieure. Blanche vient d’entrer.
LA PRIEURE
Ma fille, mettez-vous d’abord à genoux et récitons ensemble la prière de notre Mère Sainte Thérèse.
La Prieure dit chaque phrase de la prière, que Blanche répète aussitôt.
LA PRIEURE, puis BLANCHE
Je suis vôtre et je suis en ce monde pour vous ; Comment voulez-vous disposer de moi ?
Donnez-moi richesse ou dénuement,
Donnez-moi consolation ou tristesse,
Donnez-moi la joie ou l’affliction,
Douce vie et soleil sans voile ;
LA PRIEURE
Puisque je me suis abandonnée tout entière,
Comment voulez-vous disposer de moi ?
Mais Blanche change la fin de l’oraison :
BLANCHE
Donnez-moi refuge ou angoisse mortelle,
Comment voulez-vous disposer de moi ?
La Prieure la regarde, hésite un instant, et finalement feint de n’avoir rien remarqué. Elles se relèvent. La Prieure s’assoit. Silence, puis :
LA PRIEURE
Je suppose que vous savez pourquoi je vous ai fait appeler ?
Silence. Blanche baisse la tête sans, répondre.
La séparation ne sera pas moins dure pour la mère que pour l’enfant.
Silence.
Je ne voudrais rien faire que d’accord avec vous, ma fille, ou du moins d’accord avec votre conscience. Je ne vous demande pas de répondre à ce que je vais dire, ou cette réponse, vous ne la ferez qu’à Dieu, tout à l’heure, dans le recueillement de la prière. Ma fille, ni vous ni moi n’espérons plus que vous arriverez à surmonter votre angoisse mortelle…
Silence.
Sans doute, en d’autres temps… ou plus tard… peut-être…
Silence. Blanche fixe la Prieure avec détresse, d’un regard presque égaré. On comprend très bien que la Prieure subit la contagion de cette angoisse, bien que son visage la trahisse à peine. Cependant sa voix tremble un peu quand elle dit :
Pensez-vous réellement que nous vous fassions tort en vous renvoyant dans le monde ?
Blanche se tait un moment encore. Puis elle fait un immense effort pour répondre :
BLANCHE
Je… C’est vrai que je n’espère plus surmonter ma nature. Non… je ne l’espère plus… Oh ! ma Mère, partout ailleurs je traînerai mon opprobre ainsi qu’un forçat son boulet. Cette maison est bien le seul lieu au monde où je puisse espérer l’offrir à Sa Majesté, comme un infirme ses plaies honteuses. Car enfin, ma Mère, Dieu m’a peut-être voulue lâche, comme il en a voulu d’autres bonnes ou stupides…
Elle éclate en sanglots.
LA PRIEURE
Calmez-vous. Je réfléchirai encore à tout ceci.
Blanche s’agenouille et baise la main de la Prieure qui la bénit.
SCÈNE VII
Cérémonie clandestine du Vendredi Saint, dans un local dépendant du couvent où sont réunis quelques fidèles. C’est la nuit, des hommes font le guet. Femmes et enfants. Les religieuses arrivent sans bruit, l’une d’elles prépare les ornements, le prêtre n’est pas encore là.
Au-dehors un ou deux cris de signal… Le prêtre arrive, des enfants lui baisent les mains.
L’AUMÔNIER
Quand je vous ai quittées pour la première fois, j’espérais vous revoir souvent. Mais les circonstances ont été bien loin d’être celles que j’avais prévues. Je peux dire qu’elles rendent chaque jour mon ministère plus difficile. Désormais chacune de nos réunions se fera selon le bon plaisir de Dieu, nous devrons l’en remercier comme d’un miracle. Que voulez-vous ! En des temps moins sombres, l’hommage à Sa Majesté prend aisément le caractère d’un simple cérémonial, trop semblable à celui qu’on observe en l’honneur des Rois de ce monde. Je ne dis pas que Dieu n’agrée pas ces sortes d’hommages, bien que l’esprit qui les inspire soit plutôt de l’Ancien Testament que du Nouveau.
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