Dieu veuille que je l’expie assez durement pour que nul n’en souffre dommage que moi.

 

La Prieure la bénit et l’embrasse.

Cinquième tableau

 

SCÈNE I

Hôtel de la Force, perron désert. Un homme arrive, un sans-culotte : cocarde, bonnet phrygien. Il pénètre dans l’hôtel (escalier du fond), s’avance vers le salon et appelle doucement : « Mademoiselle Blanche ! » Aucune réponse. On entend l’homme monter l’escalier.
Chambre de Blanche. Elle s’entend appeler, croit que c’est son père, ouvre la porte, se précipite. En voyant l’homme, elle pousse le même cri d’horreur qu’au début du film. Elle se rejette dans sa chambre, s’y enferme. L’homme essaie de la rassurer à travers la porte : « Ouvrez ! c’est moi, Antoine, votre cocher. Votre père est arrêté, il faut aller le délivrer. »

 

SCÈNE II

 

La Conciergerie. Intérieur de la cellule avec une vingtaine de prisonniers. Désordre. Allées et venues de gens très énervés mais qui le laissent paraître le moins possible et se reprennent dès qu’il le faut. Soupirail donnant sur une cour intérieure d’où vient une rumeur incessante, qui parfois grandit, au point de couvrir le bruit des conversations. Appels, roulements de tambours, piétinements, bruits de charrettes. Rien qui fasse penser à la discipline d’un camp de prisonniers moderne. De temps en temps, un révolutionnaire (ou une) vient s’accroupir contre le soupirail, la face contre les barreaux, et lance des injures ou des plaisanteries. Un geôlier entre et appelle.

 

LE GEÔLIER

Le ci-devant Comte de Guiches.

UN PRISONNIER (ironiquement)

C’est le Marquis, citoyen !

LE GEÔLIER

Mon papier porte Comte et non Marquis.

 

Quelques prisonniers s’arrêtent de parler pour mieux entendre. La plupart continuent leurs conversations.

 

UN PRISONNIER

Tu tiens ton papier à l’envers, citoyen !

LE GEÔLIER

Bast ! Le greffier m’a lu la chose et si je ne sais pas lire, parguienne ! je ne suis pas sourd.

 

Le Marquis de Guiches a fait un mouvement pour prendre le papier, mais il hausse les épaules et dit :
 

LE MARQUIS

Bah ! Tu m’as toujours eu l’air d’un brave homme. Autant m’en rapporter à toi là-dessus.

 

Il s’approche d’une jeune femme qui, à l’entrée du geôlier, a interrompu une partie de cartes et se tient debout, avec un courageux sourire.

 

LE MARQUIS

Ma chère Héloïse, je vous prie de me garder ces bibelots. Je les ai serrés dans le mouchoir que voici, et c’est, ma foi, ce que je possédais encore en ce monde. Je n’emporterai dans l’autre que vos bonnes grâces, mon ange.

 

Un silence.

 

Mon frère cadet va bien rire. Nous étions en procès depuis sept ans pour une bicoque qui ne vaut pas cinq mille livres, et je lui laisse tout… Il est vrai que c’est faute de tenir à rien… À Dieu, Héloïse. Je vous baiserais bien les mains, si la chose n’était ici ridicule.

 

Il s’adresse au prisonnier à cheveux gris, partenaire de la jeune femme, et qui a cessé lui aussi la partie.

 

Gontran, vous donnerez pour moi un écu à ce brave homme, et vous présenterez mes civilités au Marquis de la Force. Je le vois là-bas qui sommeille et je n’oserais pas le réveiller pour si peu.

 

À Héloïse.

À Dieu, mon cœur.

 

La prisonnière se raidit visiblement mais elle lui donne toujours courageusement son sourire, jusqu’au bout, jusqu’à ce qu’il ait franchi la porte. Entre-temps, le prisonnier s’est rassis.
 

GONTRAN

Donnerez-vous les cartes ?

HÉLOÏSE

Non, je n’ai pas de goût ce soir au jeu.

GONTRAN

À votre bon plaisir.

 

Il rassemble les cartes et les glisse dans sa poche en bâillant. La prisonnière reste debout, très droite, les yeux baissés, mais le front haut.
Le prisonnier fait quelques pas vers la cheminée devant laquelle se tient un jeune homme dont les mains sont noires de suie. Le bruit redouble à l’extérieur. À l’intérieur, les voix se haussent d’autant. Allées et venues.
 

GONTRAN

Alors, jeune homme, où en êtes-vous de vos entreprises ?

LE JEUNE HOMME

Je viens de préparer mon travail pour cette nuit. Oh ! si j’avais un autre outil que cette mauvaise lime, nous serions ce soir hors d’ici.