Il me semble bien qu'elle est arrivée mais je ne puis faire la différence entre la perception de cette visite et l'habitude que j'en ai prise.

 

NUIT DU 6 AU 24 JANVIER 1927

Je doute de plus en plus qu'elle continue à venir me voir. Certain jour, j'en suis presque certain mais le lendemain je suis presque persuadé que mes souvenirs me trompent.

 

NUIT DU 25 JANVIER 1927

Elle n'est certainement pas venue cette nuit et pourtant j'étais éveillé à l'heure habituelle de son arrivée et je ne me suis pas endormi avant le petit jour.

 

NUIT DU 26 JANVIER 1927

 

Elle n'est pas venue.

 

NUITS DU 27 JANVIER A FIN FÉVRIER

 

Elle ne vient certainement plus. J'ai continué à m'éveiller à l'heure de sa visite journalière et, au début, j'avais sans lavoir l'impression de sa présence. Puis cette impression a disparu. Les dernières nuits, j'ai dormi sans m'éveiller.

 

MAINTENANT

 

Elle ne reviendra plus.

(Inédit)

 

TANDIS QUE JE DEMEURE

Tandis que je demeure, ceux que favorise illégitimement son amour, si toutefois je puis consentir à appeler de ce nom le hasard misérable qui les met en présence, se succèdent comme des fantômes. J'assiste à leur fugitive apparition. Comment serais-je jaloux d'eux, instruments inconscients d'une destinée poétique et pathétique, jouets d'une fatalité plus haute que la leur et qui ne les suscite que pour éprouver davantage la patience invincible que j'oppose aux avatars et aux tribulations. Patience, mais non résignation. Je garde le secret de mes tempêtes et de mes désespoirs. Le récif placé au milieu d'un cyclone ne subit pas l'atteinte de l'écume. Elle glisse sur ses arêtes lisses et si l'eau qui ruisselle sur lui laisse un peu de sel dans les fissures, celui-ci se transforme en cristaux féeriques. (J'aime l'éclat que laissent aux yeux profonds les larmes intérieures.)

J'attends depuis des années le naufrage du beau navire dont je suis amoureux. Je vois les tourbillons s'amonceler dans le ciel en telle quantité que, depuis longtemps, la catastrophe aurait dû s'abattre sur la mer trop calme et que, puisqu'elle attend, il est impossible de douter qu'elle sera terrible et fabuleuse.

J'aspire à ce naufrage, j'aspire à la fin tragique de ma patience. Le beau navire impassible et qui parfois se présente à moi sous l'aspect du bateau fantôme n'acceptera pas la perte corps et biens sans entraîner celle du récif qui la causera.

Tandis que je demeure, ses amants illégitimes se succèdent et passent. Il est des jours où je crois qu'elle sait, des jours où je crains d'être dupe. Mais je demeure et ils passent. Elle accepte dans sa vie la présence de mes pensées non dissimulées, elle acceptera quelque jour le témoignage tragique et écrasant que j'apporterai de mon amour et du sien.

Et du sien. Car nul doute qu'elle ne m'aime ou m'aimera. Je ne saurais condescendre à soumettre cette question à l'illusoire condition de temps.

Mais pourtant je ne suis pas de ceux qui s'humilient et qui acceptent. La tempête, j'en serai l'auteur et une des victimes. Pensées amoureuses, devenez plus terribles et plus sereines. Jour prochain du règlement de compte, lève-toi.

Je demeure, ils passent.

Et qu'ils passent ainsi, vagues fantômes soumis à des rites sexuels et qui ont oublié les lois spirituelles de l'amour qu'ils prétendent éprouver. Vivant par l'âme et la matière je n'aurai, au jour voulu, qu'à lever le doigt pour que ces mirages dérisoires soient balayés avec les premières épaves, au souffle de l'amour réciproque.

 

(Inédit)

TOUR DE LA TOMBE

A force d'aimer, je me suis perdu dans l'océan. Et quel océan !

Une tempête de rires et de larmes.

Si vous montez sur un navire ayez soin de regarder la figure de proue qui vous fixera d'un œil rongé par la houle et l'eau salée.

Mais que dis-je ? Les spectacles de l'amour ne m'intéressent guère. Je ne veux plus être qu'une voile emportée au gré des moussons vers des continents inconnus où je ne trouverai qu'une seule personne. Celle pour laquelle vous avez un nom tout trouvé.

Je me déshabille, ainsi qu'il sied à un explorateur perdu dans une île et je reste immobile ainsi qu'une figure de proue.

Salut à toi, vent du large et à toi, désert, et à toi, oubli.

On m'oubliera. Quelque jour, on ne saura plus mon nom, mais je saurai son nom. Un soir, couvert de gloire et riche, je reviendrai, je frapperai à sa porte, tout nu, mais on ne me répondra pas, même, ayant ouvert la porte, quand j'apparaîtrai à ses yeux.

J'ai gagné, du moins, le sens de la perpétuité. Non pas celle, ridicule, des concessions de cimetière.

Je souhaite en vain l'apparition des guillotines, mais je ne puis offrir aux foules sanguinaires que mon désir de suicide.

Révolution ! Tu ne brilleras qu'après ma mort, sur la place immense de marbre blanc qui recouvrira mon immense cadavre.

La France est un nid de guêpes, l'Europe un champ pourri et le monde une presqu'île de ma conscience.

Mais heureusement il me reste les étoiles, et la conscience de ma grandeur morale opposée aux mille obstacles que le monde apporte à mon amour.

(Inédit)

CONTE DE FÉE

Il était un grand nombre de fois

Un homme qui aimait une femme.

Il était un grand nombre de fois

Une femme qui aimait un homme.

Il était un grand nombre de fois

Une femme et un homme

Qui n'aimaient pas celui et celle qui les aimaient.

Il était une fois

Une seule fois peut-être

Une femme et un homme qui s'aimaient.

(Inédit)

L'OISEAU MÉCANIQUE

L'oiseau tête brûlée

Qui chantait la nuit

Qui réveillait l'enfant

Qui perdait ses plumes dans l'encrier

L'oiseau pattes de sept lieues

Qui cassait les assiettes

Qui dévastait les chapeaux

Qui revenait de Suresnes

L'oiseau l'oiseau mécanique

A perdu sa clef

Sa clef des champs

Sa clef de voûte

Voilà pourquoi il ne chante plus.

(Inédit)

PAS VU ÇA

Pas vu la comète

Pas vu la belle étoile

Pas vu tout ça

Pas vu la mer en flacon

Pas vu la montagne à l'envers

Pas vu tant que ça

Mais vu deux beaux yeux

Vu une belle bouche éclatante

Vu bien mieux que ça.

(Inédit)

CHANSON DU PETIT JOUR

La bague au doigt

Que vous m'aviez donnée

Je ne sais si je dois

Si je dois pardonner.

Dans la ville de Lille

Ils s'étaient séparés

Adieu ! et par la ville

Tous deux étaient allés.

 

Au labeur de la mine

Il noircissait ses mains

Du poussier pour l'angine

Du caillou pour la faim.

 

La bague au doigt

Que vous m'aviez donnée

Je ne sais si je dois

Si je dois pardonner.

 

Beaucoup souffraient pour elle

Elle avait de beaux yeux

Et qu'elle était donc belle

Avec ses blonds cheveux !

Si belle que pour elle

Beaucoup aimaient pleurer

Amour à la cruelle

Vous nous réunirez.

La bague au doigt

Que vous m'aviez donnée

Je ne sais si je dois

Si je dois pardonner.

Il est mort en décembre

Noirci par le charbon

A l'heure où dans la chambre

Auprès du feu fait bon.

Il pourrit dans la terre

Quelque part dans le Nord

Où l'on boit de la bière

Et tant pis pour les morts !

La bague au doigt

Que vous m'aviez donnée

Je ne sais si je dois

Si je dois pardonner.

Eh bien tant mieux pour elle

Et bien tant pis pour lui !

Sachez vivre pucelles

Une vie sans ennui.

Soyez riches méchantes

Et laissez dans vos cœurs

Tomber des larmes lentes

En gardant les yeux rieurs.

 

La bague au doigt

Que vous m'aviez donnée

Je ne sais si je dois

Si je dois pardonner.

(Inédit)

LA NÉGRESSE

La négresse qui danse

Encore à minuit

Dansera jusqu'à l'aurore

Jusqu'à midi et jusqu'à l'autre nuit.

 

Les seins bandés

Et les yeux clos

Elle parcourt un beau pays

Où la tendresse se mêle à la colère.

 

Elle sera toute surprise

Après la danse après l'ivresse

De retrouver la rue froide

La nuit précoce et les draps froids.

 

Comme une Vénus inconnue

Surgissant de la conque blanche du lit

Elle reposera son beau corps

En rêvant d'un Olympe noir comme elle

 

Et des anges noirs comme du charbon

Soulevant cette déesse de couleur

L'emporteront vers un pays de ténèbres

Où brille un soleil éclatant et bleu.

Là les amants sont tendres et méchants

Et ils comprennent ses chansons

L'amour ne les fatigue pas

Et la mer a le parfum des corps virils.

Voilà la vie de la négresse qui danse

Qui danse encore à minuit

Qui dansera jusqu'à l'aurore

Jusqu'à demain midi et toute l'autre nuit.

(Inédit)

COUCHÉE

A droite, le ciel, à gauche, la mer.

Et devant les yeux, l'herbe et ses fleurs.

Un nuage, c'est la route, suit son chemin vertical

Parallèlement à l'horizon de fil à plomb,

Parallèlement au cavalier.

Le cheval court vers sa chute imminente

Et cet autre monte interminablement.

Comme tout est simple et étrange.

Couchée sur le côté gauche,

Je me désintéresse du paysage

Et je ne pense qu'à des choses très vagues,

Très vagues et très heureuses,

Comme le regard las que l'on promène

Par ce bel après-midi d'été

A droite, à gauche,

De-ci, de-là,

Dans le délire de l'inutile.

(Inédit)

IL A SU TOUCHER MON CŒUR

L'autre soir j'ai rencontré

Un séduisant jeune homme

Et nous avons folâtré

Et dégusté la pomme

Dans le lit que j'étais bien !

Car le lit c'était le sien.

 

Il avait su toucher mon cœur

Tout en fièvre

Et j'aimais déjà la saveur

De ses lèvres

Au bout d'un petit instant

Un instant

Qui dura longtemps

Mais qui me parut trop rapide

Il me quitta d'un air languide

Pour aller se laver les mains

Tout près dans la sall' de bains.

 

Peu après il est rentré

Tout rempli de courage

Et il a recommencé

Plein de cœur à l'ouvrage

Car douze fois dans la nuit

La même chose il refit.

 

Il avait su toucher mon cœur

Tout en fièvre

Et je garde encor la saveur

De ses lèvres

Mais le lendemain matin

Du festin

Sur le traversin

Je vis qu'il y avait trois têtes

Et je compris toute la fête

C'était tour à tour deux jumeaux

Qui s'étaient donné le mot.

 

J'ai gardé ces deux chameaux

Ne sachant lequel prendre

Maint'nant j'aim' les deux jumeaux

Qui sav'nt bien me le rendre

Et je cherche chaque nuit

Si c'est l'autre ou si c'est lui.

 

Car ils ont su toucher mon cœur

Tout en fièvre

Il me faut toujours la saveur

De leurs lèvres

L'un à l'autre fait pendant

C'est charmant

Mais c'est fatigant

Je me demande très anxieuse

Quel serait mon sort d'amoureuse

Si leur mère mieux stimulée

Avait fait des quintuplés.

(Inédit, 1938)

COMPLAINTE DES CALEÇONS

Depuis que j'suis dans la marine

A bord du paqu'bot Pompadour

J'en ai marre de la marine

Je marronne et pleur' tous les jours.

Moi qui ne rêvais qu'abordage

Ciel nouveau, cyclone et orage,

Je suis à bord valet de chambre.

Alors, de janvier à décembre...

 

Cal'çons, chaussett's, souliers, gilets, chemises...

Je bross', je r'pass', j'nettoie, j'recouds, j'reprise

Ça me neurasthénise.

J'avais rêvé la vie des marins.

Du tropique aux banquises

D'Amérique et d'Asie au sable africain

Bordeaux, Tokyo, Valparaiso, Venise

Congo, Porto, Noix-de-Coco, Rio

Qu'la mer soit bleue ou grise

A fond de cale je répar' les trousseaux :

Cal'çons, chaussett's, souliers, gilets, chemises...

 

Aussi un jour à Buenos-Aires

J'abandonnai la cargaison

Pour une fille de Madère

Que je suivis dans sa maison.

Mais moi qui rêvais aventures

Don José, Carmen et luxure

Je suis encor valet de chambre,

Alors, de janvier à décembre...

 

Cal'çons, chaussett's, souliers, gilets, chemises...

Je bross', je r'pass', j'nettoie, j'recouds, j'reprise

Ça me neurasthénise.

J'avais rêvé la vie des chât'lains.

Hélas quelle méprise !

Pas d'amour, pas d'ami, partout le dédain,

Gaby, Dolly, Suzy, me martyrisent

Daisy, Marie, Nini m'font fair' leur lit

L'patron me terrorise

Et j'm'occup' du ling' des affranchis :

Cal'çons, chaussett's, souliers, gilets, chemises...

 

Fatigué, revenu en France,

C'est à Paris rue Montpensier

Que j'ai comblé mes espérances.

Avec Adèl' je m'suis marié.

Moi je l'ador', elle est fidèle

C'est un bijou, c'est un modèle

Je lui sers de valet de chambre.

Alors de janvier à décembre...

 

Jupons, bas d'soie, souliers, chapeaux, chemises...

J'achèt', j'essai(e), je pai(e), je fais des r'prises.

Elle aime la toilette

Elle a tout le bon goût féminin

Je suis couvert de dettes

Car je cours chaque jour les grands magasins

Finis bateaux, finis châteaux, bêtises,

Adieu marins, gauchos, adieu pampas,

Ainsi pas à pas je brise

Avec ce passé qui me dupa :

Jupons, bas d'soie, souliers, c'est ma devise !

 

(Inédit, 1939)

LA FAMILLE DUPANARD

DE VITRY-SUR-SEINE

La tribu Dupanard

Les parents les moutards

Habit' dans un gourbi

A Vitry

A Vitry-sur-Seine

Ah ! quelle veine !

 

Le papa Dupanard

A jadis fait son lard

Au retour d' Biribi

A Vitry

A Vitry-sur-Seine

Ah ! quelle aubaine !

 

La maman Dupanard

S'est rangé' sur le tard

Ell' buvait des anis

A Vitry

A Vitry-sur-Seine

Ah ! quelle haleine !

 

Le p'tit Louis Dupanard

D'habitude couche au quart

Puis il fait son fourbi

A Vitry

A Vitry-sur-Seine

Ah ! quell' vilaine !

 

La Louison Dupanard

A des patt' de canard

Des poils de ouistiti

A Vitry

A Vitry-sur-Seine

Ah ! quell' Sirène !

 

Au musé' Dupuytren

Il y en a encor un

Il n'a pas fait son lit

A Vitry

A Vitry-sur-Seine

Ah ! quelle peine !

 

Dans l'caveau familial

Ils iront c'est fatal

C'est la mort c'est la vi'

A Vitry

A Vitry-sur-Seine

Ah ! quel domaine !

 

Puis on les oubliera

Tôt ou tard c'est comm' ça !

A Pékin à Paris

A Vitry

A Vitry-sur-Seine

Faridondaine !

(Inédit, 1939)

CHANTEFABLES ET CHANTEFLEURS

LE PAPILLON

 

Trois cent millions de papillons

Sont arrivés à Châtillon

Afin d'y boire du bouillon.

Châtillon-sur-Loire

Châtillon-sur-Marne

Châtillon-sur-Seine.

 

Plaignez les gens de Châtillon !

Ils n'ont plus d'yeux dans leur bouillon

Mais des millions de papillons.

Châtillon-sur-Seine

Châtillon-sur-Marne

Châtillon-sur-Loire.

 

LA FOURMI

 

Une fourmi de dix-huit mètres

Avec un chapeau sur la tête,

Ça n'existe pas, ça n'existe pas.

Une fourmi traînant un char

Plein de pingouins et de canards,

Ça n'existe pas, ça n'existe pas.

Une fourmi parlant français,

Parlant latin et javanais,

Ça n'existe pas, ça n'existe pas.

Eh ! pourquoi pas ?

 

LES HIBOUX

 

Ce sont les mères des hiboux

Qui désiraient chercher les poux

De leurs enfants, leurs petits choux,

En les tenant sur les genoux.

Leurs yeux d'or valent des bijoux,

Leur bec est dur comme cailloux,

Ils sont doux comme des joujoux,

Mais aux hiboux point de genoux !

Votre histoire se passait où ?

Chez les Zoulous ? Les Andalous ?

Ou dans la Cabane Bambou ?

A Moscou ou à Tombouctou ?

En Anjou ou dans le Poitou ?

Au Pérou ou chez les Mandchous ?

Hou ! Hou !

Pas du tout, c'était chez les fous.

 

LE ZÈBRE

 

Le zèbre, cheval des ténèbres,

Lève le pied, ferme les yeux

Et fait résonner ses vertèbres

En hennissant d'un air joyeux.

 

Au clair soleil de Barbarie,

Il sort alors de l'écurie

Et va brouter dans la prairie

Les herbes de sorcellerie.

 

Mais la prison, sur son pelage,

A laissé l'ombre du grillage.

 

LA GIRAFE

 

La girafe et la girouette,

Vent du sud et vent de l'est,

Tendent leur cou vers l'alouette,

Vent du nord et vent de l'ouest.

 

Toutes deux vivent près du ciel,

Vent du sud et vent de l'est,

A la hauteur des hirondelles,

Vent du nord et vent de l'ouest.

 

Et l'hirondelle pirouette,

Vent du sud et vent de l'est,

En été sur les girouettes,

Vent du nord et vent de l'ouest.

 

L'hirondelle fait des paraphes,

Vent du sud et vent de l'est,

Tout l'hiver autour des girafes,

Vent du nord et vent de l'ouest.

 

LE TAMANOIR

 

– Avez-vous vu le tamanoir ?

Ciel bleu, ciel gris, ciel blanc, ciel noir.

– Avez-vous vu le tamanoir ?

Œil bleu, œil gris, œil blanc, œil noir.

– Avez-vous vu le tamanoir ?

Vin bleu, vin gris, vin blanc, vin noir.

 

Je n'ai pas vu le tamanoir !

Il est rentré dans son manoir

Et puis avec son éteignoir

Il a coiffé tous les bougeoirs.

Il fait tout noir.

 

LA BALEINE

 

Plaignez, plaignez la baleine

Qui nage sans perdre haleine

Et qui nourrit ses petits

De lait froid sans garantie.

Oui mais, petit appétit,

La baleine fait son nid

Dans le fond des océans

Pour ses nourrissons géants.

Au milieu des coquillages,

Elle dort sous les sillages

Des bateaux, des paquebots

Qui naviguent sur les flots.

 

LE PÉLICAN

 

Le capitaine Jonathan,

Étant âgé de dix-huit ans,

Capture un jour un pélican

Dans une île d'Extrême-Orient.

 

Le pélican de Jonathan,

Au matin, pond un œuf tout blanc

Et il en sort un pélican

Lui ressemblant étonnamment.

 

Et ce deuxième pélican

Pond, à son tour, un œuf tout blanc

D'où sort, inévitablement,

Un autre qui en fait autant.

 

Cela peut durer pendant très longtemps

Si l'on ne fait pas d'omelette avant.

 

LE BLAIREAU

 

Pour faire ma barbe

Je veux un blaireau,

Graine de rhubarbe,

Graine de poireau.

 

Par mes poils de barbe !

S'écrie le blaireau,

Graine de rhubarbe,

Graine de poireau.

 

Tu feras ta barbe

Avec un poireau,

Graine de rhubarbe

T'auras pas ma peau.

 

L'OURS

 

Le grand ours est dans la cage,

Il s'y régale de miel.

 

La Grande Ourse est dans le ciel,

Au pays bleu des orages.

 

Bisque ! Bisque ! Bisque ! Rage !

Tu n'auras pour tout potage

Qu'un balai dans ton ménage,

Une gifle pour tes gages,

Ta chambre au dernier étage

Et un singe en mariage !

 

LE CYCLAMEN

 

Le cyclamen de Clamecy,

Qui regrette tant la Savoie,

Clame par-ci, clame par-là

De toute sa voix.

Mais il est sur la bonne voie,

Le cyclamen reverra la Savoie.

 

LA TULIPE

 

Fanfan, Marceline et Philippe,

Nous étions une fine équipe,

Pipe en terre et tulipe en pot.

Tulipanpo, roi des nabots,

Nous a fait fumer la pipe,

Vive le pot de tulipe !

 

LA VÉRONIQUE

 

La véronique et le taureau

Parlaient ensemble au bord de l'eau.

Le taureau dit « Tu es bien belle »

La véronique « Tu es beau. »

La véronique est demoiselle

Mais le taureau n'est que taureau.

 

LE SOLEIL

 

Soleil en terre, tournesol,

Dis-moi, qu'as-tu fait de la lune ?

Elle est au ciel, moi sur le sol,

Mais nous avons même fortune

Car sur nous-mêmes nous tournons

Comme des fous au cabanon.

 

LE SERINGA

 

A Seringapatam

Qu'on batte le tam-tam

Qu'on sonne la trompette

C'est aujourd'hui la fête

Fête des seringas

Et des rutabagas.

Honneur aux seringas

Honte aux rutabagas.

 

LE CAMÉLIA ET LE DAHLIA

 

Un troupeau de camélias

Puis un troupeau de dahlias

Ont traversé notre pelouse.

Dahlias et camélias

L'an est un et les mois sont douze

Camélias et dahlias.

AUJOURD'HUI

JE ME SUIS PROMENÉ...

Aujourd'hui je me suis promené avec mon camarade,

Même s'il est mort,

Je me suis promené avec mon camarade.

Qu'ils étaient beaux les arbres en fleurs,

Les marronniers qui neigeaient le jour de sa mort.

Avec mon camarade je me suis promené.

Jadis mes parents

Allaient seuls aux enterrements

Et je me sentais petit enfant.

Maintenant je connais pas mal de morts,

J'ai vu beaucoup de croque-morts

Mais je n'approche pas de leur bord.

C'est pourquoi tout aujourd'hui

Je me suis promené avec mon ami.

Il m'a trouvé un peu vieilli,

Un peu vieilli, mais il m'a dit :

Toi aussi tu viendras où je suis,

Un Dimanche ou un Samedi.

Moi, je regardais les arbres en fleurs,

La rivière passer sous le pont

Et soudain j'ai vu que j'étais seul.

Alors, je suis rentré parmi les hommes.

(1936)

(État de Veille)

COUPLETS

DE LA RUE SAINT-MARTIN

Je n'aime plus la rue Saint-Martin

Depuis qu'André Platard l'a quittée.

Je n'aime plus la rue Saint-Martin,

Je n'aime rien, pas même le vin.

 

Je n'aime plus la rue Saint-Martin

Depuis qu'André Platard l'a quittée.

C'est mon ami, c'est mon copain.

Nous partagions la chambre et le pain.

Je n'aime plus la rue Saint-Martin.

 

C'est mon ami, c'est mon copain.

Il a disparu un matin,

Ils l'ont emmené, on ne sait plus rien.

On ne l'a plus revu dans la rue Saint-Martin.

 

Pas la peine d'implorer les saints,

Saints Merri, Jacques, Gervais et Martin,

Pas même Valérien qui se cache sur la colline.

Le temps passe, on ne sait rien.

André Platard a quitté la rue Saint-Martin.

(1942)

(État de Veille)

COUPLET DE LA RUE DE BAGNOLET

Le soleil de la rue de Bagnolet

N'est pas un soleil comme les autres.

Il se baigne dans le ruisseau,

Il se coiffe avec un seau,

Tout comme les autres,

Mais, quand il caresse mes épaules,

C'est bien lui et pas un autre,

Le soleil de la rue de Bagnolet

Qui conduit son cabriolet

Ailleurs qu'aux portes des palais.

Soleil, soleil ni beau ni laid,

Soleil tout drôle et tout content,

Soleil de la rue de Bagnolet,

Soleil d'hiver et de printemps,

Soleil de la rue de Bagnolet,

Pas comme les autres.

(1942)

(État de Veille)

COUPLET DU VERRE DE VIN

Quand le train partira n'agite pas la main,

Ni ton mouchoir, ni ton ombrelle,

Mais emplis un verre de vin

Et lance vers le train dont chantent les ridelles

La longue flamme du vin,

La sanglante flamme du vin pareille à ta langue

Et partageant avec elle

Le palais et la couche

De tes lèvres et de ta bouche.

(1942)

(État de Veille)

COUPLET DU TROTTOIR D'ÉTÉ

Couchons-nous sur le pavé

Par le soleil chauffé, par le soleil lavé,

Dans la bonne odeur de poussière

De la journée achevée,

Avant la nuit levée,

Avant la première lumière,

Et nous guetterons dans le ruisseau

Les reflets des nuages en assaut,

Le coup de sang de l'horizon

Et la première étoile au-dessus des maisons.

(État de Veille)

COUPLET DU BOUCHER

La belle, si tu veux, je ferai ton lit

Dans le décor sanglant de ma boutique.

Mes couteaux seront les miroirs magiques

Où le jour se lève, éclate et pâlit.

Je ferai ton lit creux et chaud

Dans le ventre ouvert d'une génisse

Et, quand tu dormiras, pour qu'il te rajeunisse,

Je veillerai sur lui comme un bourreau sur l'échafaud.

(État de Veille)

POSTFACE

 

DE

 

ÉTAT DE VEILLE

Les premiers poèmes de ce recueil datent de 1936. Durant toute cette année et jusqu'au printemps 1937, je m'étais contraint à écrire un poème chaque soir, avant de m'endormir. Avec ou sans sujet, fatigué ou non, j'observai fidèlement cette discipline. J'emplis ainsi une série de cahiers où, on l'imagine, le déchet fut grand quand, en 1940, j'entrepris de les relire.