Mais la clef est dessus.
– Qu’importe ! j’avais brouillé les lettres de la serrure.
– Non, puisque la clef tourne.
– Impossible !
– La clef tourne. Je vois les trois lettres.
– Les trois lettres ! Vous les voyez ?
– Nettement. Un R, un O et un B, c’est-à-dire les trois premières lettres du mot Roborey. Le coffre est ouvert. Il y a une cassette. La main de l’homme fouille… et prend…
– Quoi ? quoi ? Qu’est-ce qu’il a pris ?
– Deux boucles d’oreilles.
– Deux saphirs, n’est-ce pas ? Deux saphirs ?…
– Oui, madame, deux saphirs. »
Très inquiète, les mouvements saccadés, la comtesse sortit rapidement, suivie de son mari et de Raoul Davernoie. Et Dorothée entendit le comte Octave qui disait :
« Si c’est vrai, vous avouerez, Davernoie, que ce cas de divination serait bien étrange.
– Bien étrange, en effet », répéta d’Estreicher, qui les accompagnait aussi, mais qui referma la porte sur eux et refit quelques pas dans le salon, avec l’intention évidente de parler à la jeune fille.
Dorothée s’était débarrassée de son foulard et se frottait les yeux comme quelqu’un qui sort des ténèbres. Le gentilhomme barbu et elle se regardèrent un instant tous les deux. Puis, après une hésitation, il reprit la direction de la porte. Mais là, de nouveau, il se ravisa et, tourné vers Dorothée, il caressa longuement sa barbe épaisse, et à la fin, laissa échapper un petit ricanement joyeux.
Dorothée qui n’était jamais en reste quand il s’agissait de rire, fit comme le gentilhomme barbu.
« Vous riez ? dit-il.
– Je ris parce que vous riez. Mais j’ignore la raison de votre gaîté. Puis-je la connaître ?
– Certainement, mademoiselle. Moi, je ris parce que je trouve cela très amusant.
– Qu’est-ce qui est très amusant ? »
D’Estreicher fit encore deux ou trois pas en avant, et répliqua :
« Ce qui est très amusant, c’est l’idée de confondre en un seul et même personnage l’individu qui a creusé sous la dalle et cet autre individu qui a pénétré cette nuit dans le château et volé les bijoux.
– C’est-à-dire ? interrogea la jeune fille.
– C’est-à-dire, pour être plus précis encore, l’idée de mettre d’avance le vol commis par le sieur Saint-Quentin…
– Sur le dos du sieur d’Estreicher », acheva Dorothée.
Le gentilhomme barbu réprima une grimace, mais ne protesta point. Il s’inclina :
« C’est cela même. Autant jouer cartes sur table, n’est-ce-pas ? vous n’êtes pas, et je ne suis pas de ceux qui ont des yeux pour ne pas voir. Et si j’ai vu une silhouette noire se glisser, cette nuit, par une fenêtre, vous avez vu, vous…
– Un monsieur qui recevait une dalle sur la tête.
– Parfaitement. Et je le répète : c’est très fort à vous de chercher à les identifier l’un à l’autre. Très fort… et très dangereux.
– Dangereux en quoi ?
– En ce sens que toute attaque entraîne une riposte.
– Je n’ai pas encore attaqué. Mais j’ai voulu montrer que j’étais prête à tout.
– Même à m’attribuer le vol de ces deux boucles d’oreilles ?
– Peut-être.
– Oh ! oh ! il faut donc que je me hâte de prouver qu’elles sont entre vos mains ?
– Hâtez-vous. »
Une fois encore il s’arrêta au seuil de la porte et dit :
« Nous sommes donc ennemis ? Pourquoi ? vous ne me connaissez pas.
– Je n’ai pas besoin de vous connaître pour savoir qui vous êtes.
– Comment, ce que je suis ? Je suis le chevalier Maxime d’Estreicher.
– Possible. Mais vous êtes aussi le monsieur qui, furtivement, à l’insu de ses cousins, cherche… ce qu’il n’a pas le droit de chercher. Dans quel but, sinon pour le dérober ?
– Et cela vous regarde ?
– Oui.
– À quel titre ?
– Vous ne tarderez pas à le savoir. »
Il eut un geste. Colère ou mépris ? Mais il se contint et mâchonna :
« Tant pis pour vous, et tant pis pour Saint-Quentin. À tout à l’heure ! »
Sans un mot de plus, il salua et se retira.
Chose bizarre, dans cette sorte de duel brutal et violent, Dorothée avait gardé un tel sang-froid que, la porte à peine refermée, obéissant à ses instincts de gaminerie, elle lança un pied de nez et fit quelques pirouettes. Puis, contente d’elle-même et des événements, elle ouvrit une vitrine, prit un flacon de sels et s’approcha de Saint-Quentin, qui gisait au fond de sa bergère.
« Respire, mon vieux. »
Il renifla, se mit à éternuer et bredouilla :
« Nous sommes perdus.
– Tu en as de bonnes, Saint-Quentin. Pourquoi veux-tu que nous soyons perdus ?
– Il va nous dénoncer.
– Certes, il va aiguiller les recherches contre nous. Mais nous dénoncer, dire ce qu’il a vu ce matin, il n’osera pas. Sinon, je dis, moi, ce que j’ai vu.
– Tout de même, Dorothée, ce n’était pas la peine de révéler la disparition des bijoux.
– On aurait toujours bien fini par s’en apercevoir. Le fait d’en parler la première détourne les soupçons.
– Ou les attire sur nous, Dorothée.
– En ce cas, j’accuse le gentilhomme barbu.
– Il faut des preuves.
– J’en aurai.
– Comme tu le détestes !
– Non, mais je veux le perdre. C’est un homme dangereux, Saint-Quentin. J’en ai l’intuition, et tu sais que je ne me trompe guère.
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