Il a tous les vices. Il est capable de tout. Il trahit ses cousins de Chagny. Je veux les en débarrasser par n’importe quel moyen. »

Saint-Quentin essaya de se rassurer.

« Tu es étonnante. Tu combines, tu calcules, tu agis, tu prévois. On sent que tu te diriges d’après un plan.

– D’après rien du tout, mon garçon. Je marche à l’aventure, et je me décide au petit bonheur.

– Cependant…

– J’ai un but précis, voilà tout. Quatre personnes sont en face de moi, qui, cela n’est pas douteux, sont réunies par un secret commun. Or, le mot de « Roborey », prononcé par mon père en mourant, me donne le droit de rechercher si lui-même ne faisait pas partie de ce groupe, et si, en conséquence, sa fille n’est pas qualifiée pour prendre sa place. Jusqu’ici, les quatre personnes se tiennent les coudes et me repoussent. J’ai beau tenter l’impossible pour obtenir leur confiance d’abord, et ensuite leurs confidences, je n’aboutis à rien. Mais je réussirai. »

Elle frappa du pied, avec une brusquerie où s’affirmaient soudain toute l’énergie et toute la décision qui animaient cette souriante et mignonne créature, et elle répéta :

« Je réussirai, Saint-Quentin, je te le jure. Je ne suis pas au bout de mes révélations, et il y en a une qui les décidera peut-être à plus d’abandon.

– Laquelle, Dorothée ?

– Je m’entends, mon garçon. »

Elle se tut. Son regard s’en allait par la fenêtre ouverte près de laquelle Castor et Pollux se battaient. Des bruits de pas précipités résonnaient dans le château. Il y eut des exclamations. Un domestique traversa la cour à toute allure et ferma les grilles, ce qui laissa dans l’enceinte une petite partie de la foule et trois ou quatre roulottes, dont celle du cirque Dorothée.

« Les gendarmes… les gendarmes… bégaya Saint-Quentin. Ils sont là-bas… Ils visitent la baraque du tir.

– Et d’Estreicher est avec eux, observa la jeune fille.

– Oh ! Dorothée, qu’as-tu fait ?…

– Tout m’est égal, dit-elle imperturbable. Ces gens-là ont un secret, qui m’appartient peut-être autant qu’à eux. Je veux le connaître. L’agitation, les coups de théâtre, tout cela travaille en ma faveur.

– Cependant…

– Flûte, Saint-Quentin. Ma vie se décide aujourd’hui. Au lieu de trembler, réjouis-toi… Un fox-trot, mon vieux. »

Elle le saisit à la taille, le dressa comme un mannequin aux jambes molles, et le contraignit à tournoyer. Escaladant la fenêtre, Castor et Pollux, que suivait le capitaine Montfaucon, entourèrent le couple, et se mirent à danser en chantant l’air de la Capucine, dans le salon d’abord, puis à travers le large vestibule. Mais une nouvelle défaillance de Saint-Quentin coupa l’élan des danseurs. Dorothée s’impatienta.

« Qu’est-ce que tu as encore ? » lui demanda-t-elle en tâchant de le relever et de le faire tenir debout.

Il bégaya :

« J’ai peur… j’ai peur…

– Mais enfin, quoi ! Je ne t’ai jamais vu aussi poltron. Qu’est-ce que tu crains ?…

– Les bijoux…

– Imbécile ! puisque tu les as jetés dans le massif…

– Non.

– Tu ne les as pas jetés ?

– Non.

– Mais alors, où sont-ils ?

– Je ne sais pas. Je les ai cherchés dans la corbeille, selon tes instructions, là où je les avais mis moi-même. Ils n’y étaient plus. La petite boîte de carton avait disparu. »

À mesure qu’il s’expliquait, Dorothée devenait plus sérieuse.