Elle les prit et les regarda. Son visage se contracta un peu. Ses yeux brillèrent, et, la voix altérée, elle murmura :
« Que c’est beau, les saphirs !… Le ciel est quelquefois comme ça, la nuit… de ce bleu noir, plein de lumière… »
À ce moment ils traversaient une pièce de terre que dominait une sorte d’épouvantail grossier, vêtu d’un simple pantalon, et dont l’un des balais, qui figuraient les bras, portait une veste. C’était la veste de Saint-Quentin. Il l’y avait déposée la veille, et, pour se rendre méconnaissable, avait emprunté la redingote et le chapeau haut de forme du mannequin. Cette redingote, il la défit, en habilla le buste de paille, replaça le chapeau. Puis il enfila sa veste et rejoignit Dorothée.
Elle contemplait toujours les diamants, d’un air d’admiration. Il se pencha sur elle et lui dit :
« Garde-les, Dorothée. Tu sais bien que je ne suis pas un voleur, et que c’est pour toi que j’ai fait cela… pour que tu aies de la joie à les regarder… à les toucher… J’ai souvent tant de peine à te voir trimer comme une malheureuse ! Toi, danser sur la corde raide ! Toi, Dorothée ! toi qui devrais vivre dans le luxe !… Ah ! Dorothée, tout ce que je ferais pour toi, si tu voulais ! »
Elle leva la tête vers lui et prononça :
« Tu ferais tout pour moi, dis-tu ?
– Tout, Dorothée.
– Eh bien, sois honnête, Saint-Quentin. »
Ils repartirent, et la jeune fille continua :
« Sois honnête, Saint-Quentin, c’est tout ce que je te demande. Toi, et les autres gosses de la roulotte, je vous ai recueillis, parce que vous êtes, comme moi, des orphelins de guerre, et, depuis deux ans, on traîne ensemble sur les grands chemins, heureux plutôt que malheureux, nous amusant, et, somme toute, mangeant à notre faim. Seulement, pas de malentendu entre nous. Moi, je n’aime que ce qui est propre, clair, luisant comme un rayon de soleil. Es-tu comme moi ? Voilà trois fois que tu voles pour m’être agréable. Est-ce fini ? Si oui, je te pardonne. Sinon, adieu. »
Elle parlait gravement, en accentuant chaque phrase d’un hochement de tête qui faisait battre les deux ailes de ses cheveux.
Bouleversé, Saint-Quentin l’implora :
« Tu ne veux plus de moi ?
– Si. Mais jure de ne plus recommencer.
– Je le jure.
– Alors n’en parlons plus. Je sens que tu as dit la vérité. Reprends les bijoux. Tu les cacheras sous la roulotte, dans la grande corbeille. La semaine prochaine, tu les renverras par la poste. C’est bien le château de Chagny, n’est-ce pas ?
– Oui, et j’ai vu le nom de la dame sur une de ses cartes : Comtesse de Chagny. »
Ils repartirent, les mains jointes, deux fois se cachèrent pour éviter les rencontres des paysans, et enfin, après quelques détours, arrivèrent aux environs de la roulotte.
« Écoute, dit Saint-Quentin, en prêtant l’oreille. Oui, c’est ça, Castor et Pollux qui se battent, comme toujours. Les sacripants ! »
Il s’élança.
« Saint-Quentin, cria la jeune fille, je te défends de les frapper !
– Tu t’en prives, toi !
– Oui, mais moi, ça leur fait plaisir. »
À l’approche de Saint-Quentin, les deux gosses, qui se battaient en duel avec des sabres de bois, firent front contre l’ennemi commun, en hurlant :
« Dorothée ! Maman Dorothée ! Empêche Saint-Quentin. C’est un brutal. Au secours ! »
Il y eut une distribution de taloches, des éclats de rire, des embrassades.
« Dorothée, c’est à moi d’être embrassé !
– Dorothée, à mon tour d’être giflé ! »
Mais la jeune fille gronda :
« Et le capitaine ? Je suis sûre que vous l’avez réveillé ?
– Le capitaine ? Il dort comme un sapeur, affirma Pollux. Écoute s’il ronfle ! »
Sur le côté de la route, les deux gamins avaient allumé un feu de bois. La marmite, suspendue à un trépied de fer, bouillait. Tous quatre mangèrent une soupe épaisse et fumante, du pain, du fromage et burent une tasse de café.
Dorothée ne bougeait pas de son tabouret. Ses trois compagnons ne l’eussent pas permis. C’était à qui, des trois, se lèverait pour la servir, tous attentifs, empressés, jaloux les uns des autres, agressifs même entre eux.
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