Elle déchiffre les énigmes. Avec sa baguette magique, elle fait jaillir les sources invisibles et, en particulier, elle découvre dans les endroits les plus insondables, sous les pierres des vieux châteaux, et au fond d’oubliettes inconnues, des trésors fantastiques dont personne ne soupçonnait l’existence. À bon entendeur, salut ! C’est pour avoir l’honneur de vous remercier. »

Elle descendit rapidement. Déjà les trois garçons emballaient les accessoires.

Saint-Quentin s’approcha.

« Nous filons, hein ! et presto ! Les gendarmes ne m’ont pas quitté de l’œil. »

Elle répondit :

« Tu n’as donc pas écouté la fin de mon speech ?

– Et après ?

– Après ? Eh bien ! les consultations vont commencer. Dorothée, voyante extra lucide… Tiens, voici des clients… Le gentilhomme et le type en velours… Il me plaît, le type en velours. Il est très poli, et il a des guêtres en cuir fauve qui n’ont aucune prétention. Un gentleman-farmer accompli. »

Le gentilhomme barbu était hors de lui. Il couvrit la jeune fille de compliments excessifs, tout en la dévisageant d’une façon gênante, se présenta : « Maxime d’Estreicher », présenta son compagnon « Raoul Davernoie », et, enfin, invita Dorothée, de la part de la comtesse Octave, à prendre le thé.

– Seule ? demanda-t-elle.

– Certes non, protesta Raoul Davernoie qui s’inclina avec courtoisie. Notre cousine tient à féliciter tous vos camarades. C’est entendu, mademoiselle ? »

Dorothée promit. Le temps de faire un peu de toilette, et elle se rendrait au château.

« Non, non, pas de toilette ! s’écria d’Estreicher. Telle que vous êtes… Ce costume un peu débraillé vous va à ravir. Ce que vous êtes jolie comme ça ! »

Dorothée rougit, et d’un ton sec :

« Pas de compliments, monsieur, je vous en prie.

– Ce n’est pas un compliment, mademoiselle, dit-il avec une nuance d’ironie, c’est l’hommage naturel que l’on doit à la beauté. »

Il s’éloigna, entraînant Raoul Davernoie.

« Saint-Quentin, murmura Dorothée, qui les suivait du regard, méfie-toi de ce monsieur-là.

– Pourquoi ?

– C’est l’homme à la blouse qui, ce matin, a failli te descendre d’un coup de fusil. »

Saint-Quentin chancela, comme s’il avait reçu le coup de fusil.

« Tu es sûre ?

– À peu près. C’est la même façon de marcher, en traînant un peu la jambe droite. »

Il marmotta :

« Il m’a reconnu ?

– Je le crois. Dès qu’il t’a vu gambader pendant la représentation, il s’est souvenu du diable noir qui faisait l’acrobate contre la paroi de la falaise. Et, de toi, il a passé à moi, qui lui avais rabattu sa dalle sur la tête. J’ai vu tout cela dans ses yeux, et dans son attitude, cet après-midi. Rien que sa manière de me parler… d’un petit air goguenard. »

Saint-Quentin s’exaspéra :

« Et nous ne partons pas ! Tu oses rester !

– J’ose.

– Mais cet homme ?

– Il ne sait pas que je l’ai démasqué, et tant qu’il ne le saura pas…

– De sorte que tes intentions ?…

– Très nettes. Leur dire la bonne aventure, les amuser et les intriguer.

– Dans quel but ?

– Dans le but de les faire parler à leur tour.

– Sur quoi ?

– Sur ce que je veux savoir.

– Mais, à quel sujet ?

– Je n’en sais rien. C’est à eux de me l’apprendre.

– Et si on découvre le vol ? Si on nous interroge ?

– Saint-Quentin, prends le fusil de bois du capitaine, monte la garde devant la roulotte, et, lorsque les gendarmes approcheront, tire dessus, mon vieux ! »

Sa toilette achevée, elle emmena Saint-Quentin vers le château, tout en lui faisant raconter tous les détails de son expédition nocturne. Derrière eux marchaient Castor et Pollux, puis le capitaine, qui tirait par une ficelle un petit chariot d’enfant encombré de colis minuscules.

 

On leur fit fête dans le grand salon du château. La comtesse, qui était bien, ainsi que Dorothée l’avait dit, une femme aimable et douce autant que jolie et séduisante, bourra les enfants de friandises, et se montra pleine de prévenances envers la jeune fille. Celle-ci ne semblait pas plus embarrassée près de ses hôtes qu’elle ne l’était sur sa roulotte. Elle avait simplement caché sa jupe courte et son corsage sous un grand châle noir serré à la taille par une ceinture. L’aisance de ses manières, la distinction de sa voix, son langage correct auquel, parfois, un terme d’argot ajoutait de la saveur, son allégresse, l’intelligence de ses yeux brillants, tout émerveillait la comtesse et ravissait les trois hommes.

« Mademoiselle, s’écria d’Estreicher, si vous prédisez l’avenir, je puis vous assurer que, moi aussi, j’y vois clair, et que votre fortune est certaine. Ah ! si vous vouliez vous en remettre à moi et que je vous pilote à Paris ! J’ai des relations dans tous les mondes, et je vous garantis le succès. »

Elle hocha la tête :

« Je n’ai besoin de personne.

– Mademoiselle, dit-il, avouez que je ne vous suis pas sympathique.

– Ni sympathique ni antipathique. Je ne vous connais pas.

– Si vous me connaissiez, vous auriez confiance en moi.

– Je ne crois pas, dit-elle.

– Pourquoi ? »

Elle lui prit la main, la retourna, se pencha sur la paume ouverte, et, tout en l’examinant, articula :

« Débauche… Esprit de lucre… Pas de conscience…

– Mais je proteste, mademoiselle ! pas de conscience, moi ! Moi qui suis plein de scrupules !

– Votre main dit le contraire, monsieur.

– Dit-elle aussi que je n’ai pas de chance ?

– Aucune.

– Comment ! Je ne serai jamais riche ?

– Je le crains.

– Bigre !… Et ma mort ? Lointaine ?

– Pas trop.

– Une mort douloureuse ?

– Quelques secondes.

– Donc un accident ?

– Oui.

– De quelle sorte ? »

Elle désigna du doigt :

« Regardez ici, au bas de l’index.

– Qu’y a-t-il ?

– Une potence. »

Il y eut un accès de rire. D’Estreicher était enchanté et le comte Octave applaudit.

« Bravo, mademoiselle, la potence pour ce vieux libertin, il faut vraiment que vous ayez le don de double vue. Aussi je n’hésiterai pas… »

Il consulta sa femme du regard, et continua :

« Aussi je n’hésiterai pas à vous dire…

– À me dire, acheva Dorothée malicieusement, les raisons pour lesquelles vous m’avez convoquée. »

Le comte protesta :

« Mais pas du tout, mademoiselle. En vous invitant, nous avions seulement le désir de vous voir.

– Et peut-être un peu le désir de faire appel à mes talents de sorcière. »

La comtesse Octave intervint :

« Eh bien, oui, mademoiselle, votre annonce finale a éveillé notre curiosité.