Je vous avouerai d’ailleurs que nous ne croyons guère à ces choses-là, et que c’est plutôt par curiosité que nous voudrions vous poser quelques questions.
– Si vous ne croyez pas à mes petits talents, madame, nous les laisserons de côté, et je ferai quand même en sorte que votre curiosité soit satisfaite.
– Par quel moyen ?
– En réfléchissant tout simplement à vos paroles.
– Comment ! fit la comtesse, pas de passes magnétiques ? pas de sommeil hypnotique ?
– Non, madame, du moins pour l’instant. Plus tard, nous verrons. »
Ne gardant que Saint-Quentin auprès d’elle, Dorothée enjoignit aux enfants de jouer dehors. Puis elle s’assit et dit :
« Je vous écoute, madame.
– Comme ça ? sans plus de manières ?
– Sans plus de manières.
– Voici, mademoiselle. »
Et la comtesse prononça, d’un ton de légèreté qui n’était peut-être pas absolument sincère :
« Voici. Vous avez parlé, mademoiselle, d’oubliettes inconnues, de vieilles pierres et de trésors cachés. Or, le château de Roborey date de plusieurs siècles, il a sans doute été le théâtre d’aventures et de drames, et cela nous amuserait de savoir si quelqu’un de ses habitants n’aurait pas laissé, par hasard, dans un petit coin, un de ces trésors fabuleux auxquels vous faisiez allusion. »
Dorothée garda le silence assez longtemps, puis elle dit :
« Je réponds toujours avec d’autant plus de précision que l’on me témoigne plus de confiance. Si l’on y met des réserves, si la question n’est pas faite comme elle doit l’être…
– Quelles réserves ? Je vous assure, mademoiselle… »
La jeune fille insista :
« Vous m’avez interrogée, madame, comme si vous cédiez à une curiosité soudaine, ne reposant, pour ainsi dire, sur aucune base réelle. Or, vous savez comme moi que des fouilles ont été faites dans le château.
– Cela est fort possible, dit le comte Octave, mais, en ce cas, cela remonterait à des dizaines d’années, du temps de mon père ou de mon grand-père.
– Ce sont des fouilles récentes, affirma Dorothée.
– Mais nous n’habitons le château que depuis un mois !
– Il ne s’agit pas de mois, mais de quelques journées… de quelques heures… »
Vivement la comtesse déclara :
« Je vous certifie, mademoiselle, que nous n’avons pas fait la moindre recherche.
– C’est alors que les recherches ont été faites par d’autres que par vous.
– Par qui ? Et dans quelles conditions ? Et à quel endroit ? »
Un nouveau silence, et Dorothée reprit :
« Vous m’excuserez, madame, si je me suis occupée d’affaires qui ne semblent pas me concerner. C’est un de mes défauts. Saint-Quentin me le dit souvent : « Avec ta manie de fouiner et de te faufiler partout, tu t’attireras des désagréments. » Toujours est-il qu’en arrivant ici, comme nous devions attendre l’heure de la représentation, je me suis promenée, j’ai flâné de droite et de gauche, j’ai observé et, en fin de compte, j’ai fait un certain nombre de remarques qui, je m’en aperçois, ont quelque importance. Ainsi… »
Le comte et ses invités se regardèrent, avides de l’entendre. Elle poursuivit :
– Ainsi, en examinant, et en admirant la belle fontaine ancienne qui se trouve dans la cour d’honneur, j’ai pu constater que, tout autour, des coupures ont été pratiquées sous le bassin de marbre qui recueille les eaux. L’exploration a-t-elle été fructueuse ? Je l’ignore. En tout cas, les terres ont été remises en place avec soin, mais pas assez bien cependant pour qu’on ne puisse voir le gonflement du sol. »
Le comte et ses invités se regardèrent encore avec étonnement. L’un d’eux objecta :
« Peut-être a-t-on réparé le bassin ?… ou construit des canalisations ?…
– Non, dit la comtesse d’un ton péremptoire, on n’a pas touché à cette fontaine. Et, sans doute, mademoiselle a relevé d’autres traces de même nature, n’est-ce pas ?
– Oui, déclara Dorothée, le même travail a été effectué un peu plus loin, au-dessous du piédestal de rocaille qui soutient le cadran solaire. Là, en outre, on a opéré des sondages à travers ces rocailles. Une tige de fer a été cassée. Elle y est encore.
– Mais pourquoi ? s’écria la comtesse avec agitation. Pourquoi ces deux endroits plutôt que d’autres ? Que cherche-t-on ? Que veut-on ? Avez-vous un indice ? »
La réponse ne se fit pas attendre, et Dorothée la formula lentement, comme pour bien montrer que c’était là le point essentiel de son enquête :
« Le motif de ces investigations est inscrit dans le marbre de la fontaine. Vous la voyez d’ici ? Des sirènes entourent une colonne à chapiteau, n’est-ce pas ? Eh bien, l’une des faces de ce chapiteau porte des lettres… des lettres presque effacées…
– Mais nous ne les avons jamais vues ! s’écria la comtesse.
– Elles existent, affirma la jeune fille. Elles sont usées et se confondent avec les cicatrices du marbre. Cependant, il y a un mot… un mot tout entier… qu’on peut reconstituer, et qu’on lit aisément dès qu’il vous est apparu.
– Lequel ?
– Le mot : Fortuna. »
Les trois syllabes se prolongèrent dans un silence stupéfait. Le comte les répéta, entre ses dents, le regard fixé sur Dorothée, qui reprit :
« Oui, le mot Fortuna. Et ce mot, on le retrouve aussi sur la colonne du cadran solaire. Plus effacé encore, au point qu’on le devine plutôt qu’on ne le lit. Mais il y est bien. Chaque lettre est à sa place. Aucun doute possible. »
Le comte n’avait pas attendu qu’elle eût fini de parler. Déjà il était dehors, et, par les fenêtres ouvertes, on le voyait courir vers la fontaine. Il n’y jeta qu’un coup d’œil, passa devant le cadran, et revint en hâte.
« Tout ce que dit mademoiselle est l’exacte vérité.
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