cinquante degrés de froid ! Mais nous sommes tellement habillés (30 kg de vêtements !) que nous ne souffrons pas trop.
Drôle de guerre au ralenti. Nous encore nous travaillons un peu mais l'infanterie ! Pierre2 doit absolument cultiver ses vignes et soigner ses vaches. C'est autrement important que d'être garde-barrière ou caporal dans un dépôt. Il me semble que l'on démobilisera encore beaucoup pour que l'industrie puisse reprendre. Il n'y a aucun intérêt à mourir d'asphyxie.
Dites à Didi3 de m'écrire un mot de temps en temps. J'espère vous voir tous avant quinze jours. J'en serais bien heureux !
Votre
Antoine.
LETTRE À X...
Orconte [décembre 1939].
(...) On me conseille de prendre tout de suite ma permission, parce que nous aurons peu de travail d'ici quinze jours et beaucoup ensuite.
Ne crois pas à mon autre lettre. C'est tout tellement difficile à expliquer, et contradictoire. Je n'ai guère de mélancolie à avoir fait le choix, parce que la vie m'est bien difficile à comprendre et que je suis trop compliqué pour moi. Je ne sais pas me servir de moi. Les moments difficiles, c'est la chasse aux fantômes, l'un après l'autre. Je n'aimais pas à l'avance monter à dix mille mètres. Ou combattre. Parce que je n'ai point d'ivresse guerrière, et que je ne vois pas clairement la démarche de ma génération. À cause de la radio, de Paris-Soir, de J..., de certaines conversations. Il s'agit moins de tout cela, que de prendre à ma charge les dix mille mètres, la boue et le risque de mort. Il ne reste que l'amertume pure, puisqu'il n'y a guère là cette joie de la construction, de la conquête ou de la chasse. Je ne puis supporter de ne pas participer. Alors toutes les écorces que l'on a autour, quand on les arrache successivement, ça tire et ça fait mal. Mais en même temps, on s'aperçoit que ce n'était que des écorces puisque, une fois le fantôme vaincu, on s'en fout des dix mille mètres. C'est toujours au centre, à l'intérieur des emmerdements, que l'on trouve la sérénité. Il faut arracher les écorces. (...)
LETTRE À X...
[Orconte, fin décembre]
Minuit.
Il y a eu une fête à Vitry. J'ai dû aller au théâtre aux armées4.
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