Les groupes 1-33 et 2-33 ont perdu, si je ne me trompe, 11 équipages sur 20 ou 25. Ce sont les seuls qui aient travaillé et risqué. Et ça me rend quelquefois mélancolique dans ma chambre. Ça s'achète très cher. Je ne sais pas très bien ce qui s'achète si cher. Du moins, je ne sais pas le dire. Mais, sans doute, il y a la contrepartie, puisque j'y crois. Ce soir, je suis sourd d'une oreille (pas du tout de mes bourdonnements, qui vont mieux), mais de ma première descente de si haut, et d'un tympan coincé jusqu'à demain.
Et je songe, une fois de plus, à l'incompréhensible contradiction. Tantôt, le corps, c'est soi-même. Le corps qui aime, qui goûte la paix de la soirée, au coin d'un feu. Qui s'enroule sous les draps, pour dormir. Et qui sait sourire. Et puis ce corps, qui se distingue de moi. Et qui n'est plus qu'un instrument. Et que l'on emmène au labour, comme un bœuf. Dont on accepte de lui faire siffler l'oreille, ou d'en faire frire et rissoler la chair. Comme de ses camarades d'avant-hier. Lorsque le corps n'est plus qu'un « bon outil ». Et il y a aussi deux sentiments : comme ce soir, la tristesse devant la mort possible. La mélancolique rêverie, vers tant de jardins, qui se fermeront. Il suffira de ce coup de foudre du Messerschmitt, qui vous incendie d'un coup, comme un arbre. Ça éclate d'un ciel pur. Après, cette plongée verticale et silencieuse.
Celui des trois, qui s'est sauvé seul en parachute, n'a rien vu. Sinon que, brusquement, ses instruments de bord ont éclaté. Puis, le feu, comme un borborygme dans les entrailles. Le travail souterrain du feu. Cette prise de possession par le feu. Et il a quitté sa maison.
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