Ceux-là se jettent en avant, précédant leur propre sourire, comme cet attelage de chevaux dans les images souples et creuses du roi vainqueur à Karnak.

Étrangement proche est le héros de ceux qui sont morts trop jeunes. Peu lui importe de durer. Sa vie est toute dans le départ. Il se ravit constamment à lui-même et entre dans la constellation mouvante de son danger permanent. Très peu l'y trouveraient. Mais le destin, qui nous couvre de silence, s'enflamme tout à coup pour le héros et le jette dans l'ouragan déchaîné de son monde. Je n'entends personne comme lui. Brusquement, dans un torrent d'air, sa sombre musique me traverse.

Que j'aimerais alors m'enfuir devant le mal du désir ! Oh, que ne suis-je donc un enfant, que ne m'est-il permis de le devenir et d'être assis, appuyé sur mes bras futurs, à lire l'histoire de Samson dont la mère avait été stérile avant d'enfanter si pleinement !

Ô mère, n'était-il point déjà héros en toi-même, n'est-ce pas déjà en toi-même qu'il a choisi d'être un héros ? Des milliers d'êtres bouillonnaient dans ton sein et voulaient être lui, mais vois, il saisit et repoussa, il a choisi, il a su. Et quand il brisa des colonnes, c'est qu'il avait fui le monde de ton corps pour ce monde plus étroit où il continuait à savoir choisir. Ô mères des héros ! Ô sources des fleuves au courant impétueux ! Gouffres où les jeunes filles, futures victimes du fils, se sont déjà précipitées en poussant leur plainte du haut bord de leur cœur. Car le héros prenait d'assaut les demeures de l'amour. Chaque battement d'un cœur, qui lui était destiné, le poussait plus loin et, au bout des sourires, détourné déjà, il était autre.

La septième élégie

LA SEPTIÈME ÉLÉGIE

QUE ton cri ne soit plus l'appel qui séduit et enrôle, mais simplement la voix qui t'exprime tout entier. Certes, ton cri était pur comme celui de l'oiseau que soulève la saison ; celle-ci, dans sa montée, oublie presque qu'il n'est qu'une faible bête et non seulement ce cœur isolé qu'elle jette à l'azur des ciels plus intimes. Comme lui, tu appellerais, afin que dans son silence l'amie encore inconnue te découvrît. Lentement s'éveillerait en elle une réponse à laquelle ton chant prêterait sa chaleur. Et ton sentiment audacieux te susciterait un cœur ardent.

Ah, le printemps comprendrait, car là il n'y a point d'endroit qui ne porte le chant annonciateur. Tout d'abord ce son si frêle qui interroge et que, de son silence grandissant, entoure largement la pure approbation du jour. Et puis les degrés, la montée, les degrés de l'appel qui conduisent au temple de l'avenir, construit en rêve, puis le trille, cette fontaine qui, dans la poussée du jet, devance déjà la chute : ô jeu des promesses… Et devant soi l'été, non seulement toutes les aubes de l'été, non seulement leur splendeur première et cette métamorphose qui les change en jours, non seulement les jours si tendres près des fleurs et si forts et si puissants dans la hauteur des arbres, non seulement le recueillement de ces forces déployées, ni les chemins ni les prés, le soir, ni après l'orage tardif cette clarté qui respire, ni l'approche du sommeil et un pressentiment, le soir…

Mais les nuits ! Mais les hautes nuits de l'été, mais les étoiles, les étoiles de la terre. Oh être mort un jour et les épeler infiniment, toutes les étoiles, car comment saurait-on les oublier ?

Vois, c'est alors que j'appelle la jeune fille qui vit dans l'amour. Mais ce n'est pas elle seulement qui viendrait…

De tombes impuissantes à les retenir viendraient des jeunes filles qui seraient là, debout… Car comment limiter l'appel une fois lancé ? Les engloutis cherchent toujours encore à saisir cette terre. Vous, les enfants, une chose d'ici-bas, une fois comprise, vaudrait pour bien d'autres. Ne croyez point que le destin soit plus que cette densité de l'enfance ; vous dépassez si souvent le bien-aimé, en respirant simplement, en respirant comme après une course bienfaisante qui n'avait pas d'autre but que le pur espace. Être ici-bas est magnifique ! Ô jeunes filles, vous le saviez ! Vous aussi qui apparemment perdues avez été privées de tout, vous dans les pires ruelles des villes, vous aux blessures purulentes, vous ouvertes à la déchéance. Car chacune avait une heure, peut-être pas tout à fait une heure, une durée à peine mesurable avec les mesures du temps, entre deux instants où elle avait, elle aussi, sa pleine existence. Tout. Les veines emplies d'existence.

Mais nous oublions si facilement ce qu'un voisin en riant ne nous confirme ou ne nous envie. C'est que nous voulons que notre bonheur éclate aux yeux de tous, mais le bonheur le plus visible ne se laisse reconnaître que si nous le changeons au-dedans de nous-même.

Ô bien-aimée, nulle part ailleurs qu'à l'intérieur de nous-même, le monde n'existera. Notre vie s'use en métamorphose. Et les dehors, toujours plus réduits, disparaîtront. Là où il y eut une maison durable, voici une image ; elle s'interpose et appartient à la pensée au point qu'elle semble n'avoir jamais quitté le cerveau.