On avait tous vu le spectacle sur CNN, en boucle et jusqu’à plus soif ; ça ne nous faisait plus rien, ce Nagasaki sur mer, alors qu’il suffisait d’un tout petit clic sur une autre chaîne pour regarder les Giants jouer contre les Falcons.
« Ça va te plaire, a dit la voix désincarnée d’Arnie. Et toi, où tu habites, à présent ?
– À Haddam. » Sally venait d’arriver de la cuisine ; elle s’encadrait dans la porte en tenue de yoga ; un mug de thé contre ses lèvres, elle exhalait de la buée. Elle me regardait comme si, venant d’apprendre quelque chose qui la plongeait dans la détresse, elle était pressée que je raccroche.
Là où se trouvait Arnie, un klaxon de camion a déchiré le silence. « Gros con ! a braillé Arnie. À Haddam, ah oui. Bel endroit. Dans le temps, en tout cas. » Il a cogné un objet contre le haut-parleur. « Ma maison, TA maison, gît à soixante mètres du rivage, Frank. Sur le flanc – si ça peut être le mot juste. Les voisins, c’est encore pire. Les Farlow ont essayé de tenir le coup dans leur pièce de survie. Ils s’en remettent pas. Les Snediker ont attendu la dernière minute pour se réfugier dans la leur. Ils se sont retrouvés au milieu de la baie. Barb et moi, on était au lac Sunapee, chez mon fils. Si bien qu’on a découvert l’ouragan aux infos. J’ai vu ma maison à la télé avant de la voir en vrai.
– Bonne nouvelle, à la limite. »
Arnie n’a pas relevé.
« Eh bien, qu’est-ce que je peux faire pour toi ?
– J’ai rendez-vous là-bas avec ces connards. Les fonds d’investissement. Tu en as entendu parler ? C’est des spéculateurs. » Arnie s’était mis à parler comme les gros durs de la Mafia du New Jersey, tout à coup.
« J’en ai entendu parler, oui. » J’avais lu tout ça dans le Times.
« Donc tu vois où on en est. J’ai besoin de tes conseils, Frank. T’étais un gars honnête, dans le temps.
– J’ai lâché l’immobilier depuis un moment, Arnie. Ma licence a expiré. Je n’en sais pas plus long que ce que je lis dans la presse.
– Tu n’en seras que plus fiable, sans profit à la clef. Et puis, t’inquiète pas, je vais pas te flinguer.
– Ça ne m’avait jamais effleuré l’esprit, Arnie. » Oh que si. Ça s’était déjà vu. Une fois à Ortley Beach et une autre à Sea Girt. Des agents s’étaient fait descendre à leur bureau pendant qu’ils tapaient une liste d’offres.
« Bon, alors, tu vas te ramener ? Tu me dois bien ça, quand même. » De nouveau, un coup de klaxon à vous défoncer les tympans, un camion passait en trombe. « Bon Dieu, mais quels connards ! C’est moi qui vais me faire tuer, oui. Bon, alors ?
– D’accord, je vais venir, j’ai dit, ne serait-ce que pour qu’il dégage de cet accotement et qu’il gagne le théâtre de la destruction.
– Onze heures, demain ? Chez moi. Enfin, ce qu’il en reste.
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