Et je me mets aussitôt à mettre au net mes papiers.
Une étrange et dense vapeur de lumière et de couleurs monte de ces fantaisies. Je tombe de surprise devant les bonnes choses qui se suivent et je me dis que c’est ce que j’ai jamais lu de meilleur. La satisfaction me fait tourner la tête, je suis gonflé de joie et je me sens remis à flot de grandiose façon. Je soupèse mon écrit et l’estime sur-le-champ à cinq couronnes, au jugé. À personne, il ne viendrait l’idée de marchander pour cinq couronnes, il faut dire, au contraire, que, pour dix couronnes, ce serait vendre à vil prix si cela tenait à la qualité du contenu. Je n’envisageais pas de faire gratis un travail aussi exceptionnel. Autant que je sache, on ne trouvait pas des romans de cette espèce à tous les coins de rue. Et je me décidai pour dix couronnes.
Il y avait de plus en plus de lumière dans la chambre, je jetai un regard en bas vers la porte et pus lire sans trop de difficulté les fines lettres squelettiques de : « Suaires, chez Damoiselle Andersen, à droite sous le porche ». Il faut dire qu’un bon moment s’était écoulé depuis que la pendule avait sonné sept heures.
Je me levai et me postai au milieu de la pièce. Tout bien pesé, le préavis que me donnait Madame Gundersen venait assez à propos. Au fond, cette chambre-là n’était pas faite pour moi. Aux fenêtres, il y avait des rideaux verts passablement communs et il ne se trouvait pas tellement de clous aux murs pour accrocher sa garde-robe. Le pauvre fauteuil à bascule, là-bas dans le coin, n’était au fond qu’une caricature de fauteuil à bascule dont on aurait pu facilement mourir de rire. Il était trop bas pour un adulte, de plus, il était si étroit qu’il fallait, pour ainsi dire, prendre un tire-bottes pour s’en relever. Bref, cette chambre n’était pas aménagée pour s’y employer à des choses intellectuelles, et je n’avais pas l’intention de la garder plus longtemps. En aucune façon, je ne la garderais ! Trop longtemps, je m’étais tu, à supporter d’habiter cette remise.
Gonflé d’espoir et de satisfaction, constamment occupé de mon extraordinaire esquisse qu’à chaque instant, je tirais de ma poche pour en lire des extraits, je voulus mettre mon projet à exécution sur-le-champ et commencer mon déménagement. Je sortis mon baluchon, un mouchoir rouge qui contenait deux ou trois faux cols propres et quelques journaux froissés dans lesquels j’avais rapporté du pain, je roulai ma couverture et fourrai dans ma poche mon stock de papier pour écrire. Sur ce, j’examinai, par sécurité, tous les coins afin de m’assurer que je n’avais rien laissé. N’ayant rien trouvé, j’allai à la fenêtre et regardai dehors. La matinée était sombre et humide ; il n’y avait personne là-bas, près de la forge consumée et la corde à linge, dans la cour, retendue par l’humidité, courait, raide, d’un mur à l’autre. Tout cela, je le connaissais déjà, aussi quittai-je la fenêtre, pris ma couverture sous le bras, m’inclinai devant l’avis du Directeur des Phares, m’inclinai devant les suaires de Damoiselle Andersen et ouvris la porte.
Soudain, je pensai à ma logeuse ; il fallait tout de même l’informer de mon déménagement afin qu’elle pût voir qu’elle avait eu à faire à un homme comme il faut. Je voulais également la remercier par écrit des quelques jours où j’avais occupé la chambre au-delà du terme. La certitude d’être sauvé maintenant pour un bon moment s’imposait si fort à moi que j’allai jusqu’à promettre à ma logeuse cinq couronnes quand je passerais par là un de ces jours. Je voulais lui montrer avec excès ce que c’était que l’honnête personne qu’elle avait hébergée sous son toit.
Je laissai le mot sur la table.
Une fois encore, je m’arrêtai à la porte et me retournai. Le sentiment radieux d’être parvenu à reprendre le dessus me ravissait et me rendait reconnaissant envers Dieu et l’univers, et je m’agenouillai près du lit, rendant grâces à Dieu à haute voix pour sa grande bonté envers moi ce matin-là. Je le savais, oh ! je le savais, que cet accès d’inspiration que je venais de vivre et de consigner était une œuvre miraculeuse du ciel dans mon esprit, une réponse à mon appel de détresse de la veille. C’est Dieu ! c’est Dieu ! criai-je pour moi-même et je pleurai d’enthousiasme sur mes propres paroles. De temps en temps, il me fallait arrêter et écouter un instant s’il arrivait quelqu’un dans les escaliers. Enfin, je me levai et m’en allai. Sans bruit, je descendis légèrement tous ces étages et parvint au porche sans avoir été vu.
Les rues étaient luisantes de la pluie qui était tombée en cette heure matinale, le ciel bas était suspendu, humide et froid, sur la ville, nulle part une lueur de soleil.
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