Ma main est une ballerine. Je suis jamais seul. Quand j’étais gosse, je restais allongé dans mon lit et ma main dansait pour moi dans le noir. Butler, qu’est-ce qu’elle fout, Cheri, en ce moment ? Je veux voir Chubby. Butler, sois Chubby. Tu sais qu’Albert a tout le temps peur ? Tu sais que Mott, ce salaud sans mère, doit avoir une quéquette grosse comme un spaghetti ? Tous les gros sauf Chubby ont des petites bites. C’est la règle. T’imagines ce que ça doit schlinguer quand il chie ? C’est vraiment une pute, Butler. Je me réveille et j’ai le bas-ventre en feu. Je sens une odeur de poils grillés et elle roupille comme s’il s’était rien passé. Butler, où on va ? Je veux pas rentrer chez moi. Y a rien là-bas.

Il glissa au bout de son siège, la joue contre le bord de la fenêtre.

— Stones, j’ai une question à te poser, dit Butler en prélevant un brin de tabac sur le bout de sa langue. Si j’avais foncé dans ta piaule, au motel, ce soir, pour te demander de me filer un biffeton de vingt, tu me l’aurais donné ? Hein ?

Stony dormait.

4

— Tu veux du café, Tommy ? demanda Phyllis.

Vêtue d’un tablier vert clair, elle se tenait devant son mari et son beau-frère, à qui elle faisait quasiment des courbettes.

— Non, merci, répondit Tommy, une jambe par-dessus le bras du Barcalounger.

— Chub ?

— Non, merci, chérie, déclina Chubby.

Assis au bord du canapé, les coudes sur les genoux, il se rongeait les ongles. Phyllis eut un sourire nerveux.

— Je vais me coucher, maintenant.

— Je te rejoins plus tard, ma poule, dit Chubby.

Il se tourna vers son frère.

— Stony t’a raconté ce qui s’est passé hier soir ?

— Ouais, je suis au courant, dit Tommy en riant. T’es qu’une bête.

Chubby se leva.

— Tu veux vraiment pas de café ?

— Un fond, alors.

Chubby s’activa dans la cuisine, revint avec deux tasses et une boîte de cannolis. Ils s’assirent dans le coin-repas.

— T’as des nouvelles du syndicat ? s’enquit Chubby en prenant un gâteau.

Tommy tourna la boîte vers lui et choisit le plus gros des gâteaux.

— Quoi, le syndicat ?

— Tu sais, pour Stony.

Il s’essuya la bouche avec une serviette en papier.

— Dès qu’il sera décidé, ils le prendront. Mais ce foutu gosse me les brise. Un coup c’est oui, un coup c’est non.

— Laisse-lui le temps, il est dans une passe difficile.

— Difficile mon cul. Il a tout sans se fouler. Il bosse pas, il fait pas d’études. Il passe son temps à baiser ou à se taper la colonne. Va falloir qu’il se remue sinon je le fous dehors.

Chubby eut un grognement sceptique.

— Je te vois bien faire ça, tiens. A qui tu crois que tu causes ? Tu le laisses même pas aller aux gogues sans qu’il ait au moins un billet de vingt en poche…

— Ben, à partir de maintenant, c’est fini.

— Ouais, ouais. Hier soir, je lui ai filé quelques tuyaux sur la façon de manier les bonnes femmes. Il est bien, ce môme, mais y a des jours, il a la tête dans le cul. Tu lui as pas expliqué les réalités de la vie ?

Il enfourna un autre cannolo, lécha la crème collée à ses doigts.

— Sûrement pas ! répondit Tommy. Il apprendra comme moi… dans le caniveau.

Il s’esclaffa et reprit :

— Qu’est-ce que je suis censé lui expliquer ? Comment tremper son biscuit ?

— Non, mais simplement… Je crois que son problème, c’est pas comment tremper son biscuit mais plutôt quand. Et je crois qu’il ne sait pas non plus quand le ressortir. Cette Cheri lui en fait baver.

— Tu te rappelles ce que papa m’a dit quand j’avais douze ans ? Ça, c’est ce qui s’appelle expliquer les réalités de la vie. Je lui demande comment on fait, il me répond : « Te bile pas, le moment venu, tu sauras.