C’est un vétérinaire, Schindler. Pourquoi tu ne vas pas chez Schwartz ? Il a oublié plus de trucs que Schindler n’en saura jamais.
— Il m’a donné des tranquillisants.
— Quel charlatan !
— Au moins, il est mieux que Marcus, répondit Marie. Tu te souviens de Marcus ?
— Marcus ? Même si Marcus était vétérinaire, ce serait un charlatan.
— Tu te rappelles quand j’étais à Parkchester, enceinte d’Albert ?
— Avec tous ces tuyaux ?
— Les tuyaux ?
— Ouais, la fois avec les tuyaux.
— Ah, oui, j’avais presque oublié. Bon Dieu, oui, c’était quelque chose, mais c’est pas à ça que je pensais. Je pensais à la prise de sang.
— La prise de sang ?
— Oui, la seringue.
— Je ne me souviens pas.
— Je t’ai pas raconté la fois où Marcus m’a fait une prise de sang ?
— Non, répondit Phyllis.
— Rappelle-toi, j’étais à Parkchester, deux jours avant d’accoucher d’Albert. La veille de sa naissance, Marcus a dû me faire une prise de sang. Avec une de leurs grosses aiguilles qu’ils piquent là…
Marie se tapota la saignée du coude, Phyllis fit la grimace.
— Tu sais que je suis pas une petite nature. Quand Stony s’est ouvert la tête en se cognant contre le mur, c’est moi qui ai pressé les glaçons sur la blessure.
— Tommy était tombé dans les pommes, se rappela Phyllis.
— Tu parles d’un dur. Bref, j’ai pas peur d’un peu de sang. Mais ce jour-là avec Marcus… J’étais assise dans un fauteuil roulant, on m’avait fait mettre une blouse blanche et Marcus avait la tremblote, comme toujours.
— Il n’arrêtait pas de se shooter, commenta Phyllis d’un ton détaché. Il n’y avait que comme ça qu’il tenait le coup. Je l’ai vu faire un jour dans ma salle de bains. Il était venu pour Chub, qui avait la grippe. Il entre dans l’appartement, il va droit à la salle de bains et il se pique. Du speed, probablement, précisa-t-elle d’un ton de connaisseur. Pour tenir le coup. Il ne voulait pas prendre un jeune docteur pour l’aider. Je l’ai vu se shooter et je me suis dit : Terminé, je n’ai pas besoin d’un médecin camé pour ma famille et pour moi. Je t’ai appelée, ce jour-là, tu ne voulais pas me croire.
— Si c’était moi qui t’avais appelée, tu m’aurais crue ? répliqua Marie. Enfin, bref, j’étais assise sur une chaise dans ma chambre. C’était le soir, Tommy venait de partir et je lisais Life.
Elle fit tomber la cendre de sa cigarette, poursuivit :
— Une infirmière entre avec un fauteuil roulant, elle me conduit au labo ou je sais pas quoi, et là, Marcus m’attend avec cette grosse aiguille pour me faire une prise de sang et je vois qu’il fait son numéro de shimmy. L’infirmière me fait allonger sur la table, elle noue l’élastique autour de mon bras et Marcus enfonce son aiguille. J’avais peur parce qu’il tremblait comme s’il venait de devenir croyant, mais il m’a pas fait mal. Il retire l’aiguille, il vide la seringue dans un tube. L’infirmière m’enlève l’élastique et elle fait tomber quelque chose de la table parce que j’entends un grand clac. Marcus… Marcus fait un bond de trois mètres, il renverse le sang du tube sur moi, sur ma blouse blanche. Je baisse les yeux, je me regarde : je suis couverte de mon sang.
— Oh, mon Dieu ! s’exclama Phyllis en portant une main à sa bouche. Qu’est-ce que tu as fait ?
— Je me suis évanouie. Je me suis réveillée dans mon lit, avec une blouse propre. Un moment, j’ai cru que j’avais rêvé, mais quand j’ai vu la tête de Marcus…
— Ecœurant, laissa tomber Phyllis.
— J’aurais dû me douter qu’on aurait des problèmes avec Albert.
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